Pour les épisodes précédents, voir ici :
- mars-avril : de l’histoire courte au roman fleuve
- avril-mai : ô rage, ô désespoir
- mai-juin : 3 mois fermes plus tard
- juin-juillet : le monde absurde de maintenant
- juillet-août : le désastre du mois d’août
- septembre : libérés ! délivrés ! Mais pour quelle vie ?
Résumé : après presque 6 mois de quarantaine, de restrictions en tous genres, de brimades municipales et autres absurdités, les fous (dont nous faisons partie) ont enfin été relâchés le 1er septembre 2020 en plein pic (ou pas loin) de la pandémie. Quand je pense que certaines personnes affirment qu’il existe un complot derrière ce que nous vivons (ce qui aurait pu être rassurant, ne serait-ce que pour donner du sens à ce que nous vivons), aujourd’hui je suis en mesure d’affirmer que, malheureusement, rien de tel n’existe : nous sommes juste et uniquement gouvernés à chaque échelon de chaque pays par (rayez la mention inutile pour garder celle qui s’applique chez vous) : des girouettes, des incompétents, des dingues, des carriéristes, des planqués, des corrompus, des incohérents, des peureux, des mégalos, des trous de balles, etc, etc … Ce que la cacophonie mondiale actuelle illustre parfaitement. Quand désormais tout le monde cite Orwell, je brandis systématiquement Kafka. Avant que ma liberté d’expression ne me soit elle aussi retirée.
Alors, vous pensez bien que sur le territoire de Kim Jong 3, l’évolution de la situation a été au diapason de la folie générale !
Guatapé, « mi destino seguro » ?
Autant vous le confesser d’entrée, les 6 mois d’isolement forcé nous ont un tout petit peu laissé le temps de réfléchir au « monde d’après ». Comme beaucoup, je l’espérais plus conscient, plus respectueux, plus solidaire, plus … Enfin, mieux que celui d’avant, en tout cas. Je crois l’avoir déjà écrit.
La fin du bruit nous permettait d’espérer que ce calme retrouvé aurait été perçu par tout le monde comme un bien précieux et non négociable, qu’une approche touristique fondée sur le respect de la nature et des habitants de Guatapé, voire, soyons fous, qu’un tourisme « eco-responsable et solidaire » (pour reprendre une expression à la mode) seraient la suite logique de cette parenthèse coronavirussée. Bref, qu’une politique valorisant les richesses de cet endroit si beau et potentiellement si paisible serait mise en place.
Le maire, quant à lui, semblait avoir pris conscience des enjeux qui allaient attendre Guatapé. Depuis fin juin, il nous avait bassiné avec son slogan de circonstances « Guatapé mi destino seguro« . Dans la mesure où Guatapé est une des destinations touristiques phares de la Colombie, il avait prévenu les commerçants et prestataires de services (dans de nombreuses réunions) de la nécessité de se montrer exemplaires d’un point de vue sanitaire. Souvenez-vous des contraintes qu’il faisait alors peser sur nous, entre couvre-feux, lois sèches, pico y cedula, menaces implicites de reconfinement, désinfection des habitants à chaque coin de rue et à l’entrée de chaque commerce, port du masque partout et tout le temps, etc, etc … Dire que cela nous a pourri la vie pendant 6 mois est un doux euphémisme. La seule satisfaction était de penser que lorsque les portes s’ouvriraient, tout le monde serait prêt et que nous serions en sécurité.
Les fous sont lâchés !
Comme je le lisais l’autre jour dans l’excellent article de M.-J Marchetti, « Les conséquences involontaires du couvre-feu« , « toute action et surtout toute politique a des conséquences attendues et inattendues qui peuvent nous emmener sur un chemin inverse de celui souhaité ». Or, ce qui est vrai d’un point de vue économique, semble aussi l’être du point de vue « sociétal ».
En Colombie comme ailleurs, il est évident que les conséquences attendues du confinement étaient avant tout une maîtrise de l’épidémie et une « protection » des systèmes hospitaliers pour une meilleure prise en charge des malades. A supposer que ces buts aient atteints au bout de ce laps de temps (ce qui n’a jamais été le cas, mais c’est un autre débat), il y avait fort à parier qu’enfermer pendant 6 mois la population (ou , au mieux, de cantonner les gens à la seule activité consistant à travailler) aurait pour conséquence inévitable de lui donner ensuite une furieuse envie de profiter de la vie (ou de ce qu’il en reste). Vous avez observé ce phénomène en France cet été, alors que les français n’ont eu « que » 2 mois de confinement. Donc, dans le cas de la Colombie, il ne fallait pas être très malin pour se douter que cette ouverture des portes en grand allait entraîner des comportements aussi délirants qu’irresponsables de la population. Pas raté.
Le jour où « le monde d’après » a débarqué à Guatapé, je n’en ai pas cru mes yeux. Imaginez des milliers et milliers de voitures patientant dans des embouteillages monstrueux, des parkings pleins à craquer, des centaines de personnes déambulant dans les rues ou sur le malecon, des poubelles partout, un bruit inimaginable de fêtards en tous genres, de bateaux, de jets-skis et d’hélicos touristiques. On se serait cru dans Apocalypse Now. Un choc pour moi comme pour beaucoup d’autres !!!
A la fin du WE de 3 jours (et depuis, chaque fin de semaine), on aurait dit que Guatapé avait été dévasté par un vol géant de criquets qui aurait dévoré tout ce qui pouvait l’être : la tranquillité, la beauté, la propreté, la sécurité sanitaire : tout cela avait été échangé, vendu, massacré contre des pesos, des montagnes de pesos. Les commerçants qui avaient (soit disant) claqué du bec pendant la quarantaine auraient encore vendu leurs pères et mères, leurs chiens et chats, si des touristes l’avaient exigé. Tout comme ils auraient accepté qu’on finisse de tout saccager pourvu qu’ils en retirent encore plus de pognon. En cette fin de WE, il ne restait plus grand chose de Guatapé, mais l’argent régnait de nouveau en maître absolu.
Alors, que vous dire du « monde d’après » à Guatapé ? Ce que j’ai vu et continue à voir chaque jour désormais, me donne envie de vomir. Les touristes ? Parlons-en des touristes ! La plupart de ceux qui visitent Guatapé le WE (je parle ici du tourisme national colombien) sont cheap +++ : alcool et selfies sont leurs maîtres mots. Les plus évolués viennent « consommer de la nature », comme on dévorerait un double-cheese au Mac Do : tours d’hélicos « pour montrer qu’on a fait de l’hélico », tours de skis nautiques musique à fond sur les bateaux et, pour les moins fortunés, restos et picole sur le Malecon. Je constate, sans trop de difficultés, que la quarantaine a vraiment permis aux humains de s’amender et de devenir meilleurs et plus respectueux des autres comme de l’environnement !
Les commerçants ? Parlons-en des commerçants ! Des voraces pour la plupart, ne voyant dans leurs clients que des pesos sur pattes. Grâce ou à cause de tous ces enfoirés, nous allons bientôt connaître un rebond de l’épidémie à Guatapé. Car, il y a belle lurette que le slogan « Guatapé mi destino seguro » a été oublié : à part un restaurant ou deux, tous les autres se sont assis sur les normes sanitaires. Même et surtout celui du maire. A Medellin, par exemple, quand tu entres dans un resto, tu te désinfectes, on prend ta température et tes coordonnées, le menu arrivant ensuite sur ton smartphone. A Guatapé, la distanciation sociale n’existe plus entre les tables, pas plus que leur désinfection ou celle des clients, les menus passant de mains en mains … C’est consternant.
Les autorités ? Parlons-en des autorités ! On aurait dû se douter qu’un maire dont le slogan électoral était « Guatapé emprende » (« Guatapé entreprend ») ne ferait pas grand chose pour l’environnement ou la culture et favoriserait le pognon sur le reste. Bingo ! Sitôt la quarantaine levée, sitôt le commerce favorisé. Oubliés les grands sermons sur la responsabilité sanitaire de Guatapé, oubliée l’application des gestes barrières, oubliée la protection des habitants du village ! Pour ne pas avoir de problèmes, la mairie ne fait plus effectuer aucun test PCR dans la population. Officiellement, il n’y a donc plus aucun cas de covid dans la municipalité ! C’est magique ! Ce qui est bien évidemment impossible. Les touristes règnent en maîtres absolus : la moitié d’entre eux se promènent dans le village sans masques et, quand les policiers les croisent, ils feignent de ne pas les avoir vus. Je n’accorde aucune une importance particulière aux protocoles sanitaires, mais, dans la mesure où ils existent, il me paraît quand même pertinent de les faire respecter par tous et non pas seulement par les habitants.
Vivement le retour du confinement ?
Voilà donc à quoi ressemble le joli « monde d’après » à Guatapé. Le niveau de conscience de ses habitants et visiteurs, qui était déjà très bas avant la quarantaine, a encore chuté vertigineusement après. Du fric, du fric, du fric, pour les uns. De l’alcool et des plaisirs bêtes et irrespectueux pour les autres. Et inutile de vouloir aborder le sujet, même avec délicatesse. A Guatapé, ce qui compte, c’est aujourd’hui et demain matin. Demain après-midi, c’est déjà trop loin ! Qu’importe que la nature soit ravagée, les cours d’eau souillés, les oiseaux décimés, les habitants dérangés, les générations futures privées de leur avenir ! Si l’argent garni les caisses, tous les problèmes s’évanouissent. Et si tu n’es pas contente, tu rentres dans ton pays. Logique. Mais ce que ces gens n’ont pas compris, c’est que nous ne sommes ni à Hollywood, ni à Las Vegas, ni même à Saint Tropez. Nous sommes à Guatapé, petit bled inconnu il y a seulement 10 ans, devenu à la mode, et qui refuse d’apprendre comment gérer les flux touristiques ! Quand la bulle a explosé au printemps, tous se sont mis à pleurer à chaudes larmes et à mourir de faim faute de visiteurs. Pensez-vous que cela aurait servi de leçon ? Pas le moins du monde. Guatapé s’est remis à foncer 2 fois plus vite vers le mur.
Alors, me direz-vous, il me faut être patiente. Et politiquement correcte. Et ne pas regarder la vie d’ici avec mes yeux de « femme blanche occidentale et privilégiée » (pour paraphraser une autre rhétorique à la mode). Ok, je vous l’accorde. La Colombie est un pays qui vient juste de s’ouvrir au tourisme ces dernières années et qui doit apprendre. Certes. Mais le problème de trop nombreux colombiens des champs ou mafieux est qu’il ne veulent pas apprendre ou s’inspirer d’expériences réussies comme on en trouve par exemple au Costa Rica, pays ressemblant fort à la Colombie par sa biodiversité. Non. Ils veulent dévorer le gâteau à pleines dents aujourd’hui sans se soucier des conséquences de leurs actions, que ce soit au regard de l’environnement ou même, plus concrètement pour eux, de ce qu’ils laisseront demain à leurs propres enfants. Et malheur à ceux qui s’opposent à ce saccage. Pour mémoire, le fameux parc naturel Tayrona situé en bords de caraïbes qui appartient aux indiens Kogui, première destination touristique du pays, est le siège d’affrontements terribles entre promoteurs mafieux et communautés défendant leurs terres. Un leader social a même été violemment assassiné en avril 2020. S’il vous plaît boycottez ce parc et tous les endroits que l’industrie capitaliste du tourisme s’approprie actuellement en Colombie. N’allez pas dans les endroits à la mode, ne favorisez pas ce genre de tourisme dévastateur. Peut-être faudra-t-il aussi boycotter Guatapé ? C’est triste à dire, mais je ne suis pas loin de le penser, même si en disant cela je nous prive de futures belles rencontres avec des voyageurs.
Chemin faisant, ce qui devait arriver arriva. Le département de l’Antioquia est repassé en alerte rouge depuis 3 jours. Un couvre-feu sera donc mis en place pour le WE férié du 1er novembre, interdisant aux adultes et aux enfants de sortir de 18 h à 6 heures du matin vendredi, samedi, dimanche et lundi. Ce qui n’empêchera nullement des milliers de touristes de venir nous envahir et de faire ce qu’ils veulent avec la bénédiction de tous. Kafka, nous sommes définitivement dans un livre de Kafka !
Vous me croirez ou pas, mais devant les abus qu’il y a aujourd’hui à Guatapé, j’attends presque avec impatience … un retour du confinement ! Si on m’avait dit ça en août, je ne l’aurais pas cru hihi