Gibraltar
Autant vous dire que nous n’avions jamais pensé à visiter Gibraltar avant la semaine dernière ! Comme pour beaucoup, le nom nous évoquait un rocher et un détroit, mais nous n’en savions pas beaucoup plus. Pire, je dois confesser que dans mon imagination Gibraltar s’apparentait un peu au Mont Faron dans le Var : une espèce de montagne méditerranéenne pointue, pourvu d’un téléphérique et d’un vieux zoo à sa cime, mais en plus assortie d’un port et de quelques boutiques de souvenirs de mauvais goût …
Aussi, je ne voyais pas l’endroit comme un point de passage touristique obligé. Seul Carlito était chaud bouillant pour s’y rendre car il rêvait de visiter … son aéroport ( !). Ce n’était pas un argument très décisif pour nous, mais finalement nous avons décidé de nous montrer curieux puisque nous étions à proximité.
Et nous ne l’avons vraiment pas regretté, balayant ainsi tous nos préjugés sur ce territoire et apprenant plein de choses que nous ne savions pas.
Par contre, vu le vent qui soufflait en tempête au ras de la mer et qui devait donc être dément 426 mètres plus haut, ainsi que les tarifs prohibitifs du combo téléphérique et réserve naturelle (un hold-up à environ 50 euros par personne, à multiplier par 3 en l’occurrence), nous avons abandonné l’idée de nous rendre au sommet du Peñon. De toute façon, ce n’est pas ce qui nous intéressait : ce que nous voulions c’était découvrir l’originalité culturelle de cette enclave anglaise en terre espagnole, après avoir parcouru quelques jours plus tôt un morceau d’Espagne au Maroc !
Une frontière insolite
Après une nuit à Algéciras, nous partons donc en direction de Gibraltar. Le meilleur conseil que j’ai lu sur internet était de ne pas accéder à l’enclave en véhicule et de le stationner à Linea de Concepcion, la ville espagnole frontalière.
C’est ce que nous faisons, malgré sa réputation de ville dangereuse de narcos (le Rif et son haschich sont à 14 miles juste en face), profitant d’un des nombreux parkings qui bordent la frontière. Car il y a entre l’Espagne et Gibraltar une vraie frontière à passer (l’une des plus petites du monde). Immédiatement nous comprenons que c’était la bonne idée du jour, remarquant la file de voitures qui s’étire devant la douane pour pénétrer dans ce petit territoire de 6,8 km2.
Même du côté des piétons, ça bouchonne un peu ! Nous montrons nos passeports côté espagnol, avant de les représenter une deuxième fois côté anglais quelques mètres plus loin. C’est facile et rapide. Nous sommes officiellement … au Royaume-Uni (ou plus exactement sur le territoire britannique d’outre-mer de Gibraltar) !
Quelques mètres après la douane, nous tombons sur un supermarché qui nous donne la possibilité de nous offrir à boire. C’est amusant car les prix affichés ne sont pas en euros mais en livres de Gibraltar (c’est la monnaie locale qui a la même valeur que la livre sterling, également acceptée en tant que telle, tout comme l’euro). Que nous n’avons pas. La caissière nous rassure : nous pouvons payer en cash et en euro, moyennant quoi elle nous rendra la petite monnaie en pennies… C’est ainsi que nous nous retrouvons avec ces 3 pièces de monnaie frappées aux couleurs de Gibraltar côté pile et affichant le portrait de la reine ou du roi d’Angleterre de l’autre !
En route pour la ville qui doit être à 1km ! Pour y accéder, nous devons franchir en marchant la piste de l’aéroport. Carlito est aux anges car c’est ce qui l’intéressait en venant ici : le territoire est si exigu que la route d’accès à Gibraltar-ville traverse la piste de décollage/ atterrissage qui est perpendiculaire au Rocher. Nous nous apprêtons à la traverser quand, soudain, une première sonnerie se met à retentir ! Nous n’avons pas d’explication, mais nous nous doutons qu’un avion est annoncé. Nous choisissons de nous arrêter à la barrière de sécurité côté douane, tandis que les gens déjà engagés sur la piste se hâtent d’accéder à l’autre «bord ». Très vite, une seconde sonnerie résonne : les accès à la piste (que ce soit pour les piétons ou les voitures entrant dans Gibraltar) sont désormais interdits. Une voiture balai (au sens propre du terme) se précipite alors pour nettoyer la zone de franchissement pour enlever les éventuelles scories laissées par les gens et un jet privé décolle dans la foulée, immédiatement suivi par l’atterrissage d’un Airbus de la British Airways. C’est absolument spectaculaire tant la zone est étroite et dangereuse, au pied du Rocher.
Les avions passés, les barrières s’ouvrent et nous traversons tranquillement la piste, nous offrant une petite séance photos de bon aloi !
Pour ceux qui sont intéressés, j’ai trouvé cette vidéo sur Youtube qui montre bien la situation générale de cette piste d’aéroport :
Nous poursuivons et arrivons à Ocean Village, une petite zone charmante et neuve, avec une élégante marina. C’est une reconstitution d’un petit village de bord de mer anglais ou de Nouvelle-Angleterre. On comprend que les vrais habitants de Gibraltar ne vivent pas là.
En poursuivant notre chemin sur le bord de mer, nous traversons alors des ensembles d’immeubles beaucoup moins rutilants et types « HLM », en bordure de port commercial. Il semblerait que ce soient des quartiers réservés aux autochtones. Les constructions plus chics étant plutôt occupées par des « expats » ou touristes.
Ce qui est intéressant, c’est que les Anglais se sont approprié Gibraltar depuis 1704 et, officiellement, depuis le Traité d’Utrecht en 1713. Les natifs y parlent une sorte de dialecte anglo-espagnol appelé Llanito (même si la langue officielle est l’anglais) et ont constamment réaffirmé leur attachement à la Couronne britannique depuis lors. Gibraltar a cependant un statut ambigu : pour le Comité des Nations Unies pour la décolonisation et l’Espagne, c’est un territoire en situation coloniale ; tandis que pour les anglais, il fait partie intégrante du Royaume-Uni. Quoi qu’il en soit, et à ce jour, le souverain de cette enclave est bien le roi Charles III, représenté ici par un gouverneur. Il y a même une relève de la Garde ! Néanmoins, ce territoire possède des institutions qui lui sont propres.
Au fil de nos déambulations nous constatons que vivre ici est compliqué : la mince bande de terre habitable entre la mer et le rocher est saturée de constructions qui poussent en hauteur. Et cela d’autant plus que nombreux étrangers viennent y investir, attirés par les avantages fiscaux qu’offre Gibraltar. Pas étonnant que la densité de population soit parmi les plus importantes du monde, avec 5437 habitants par km2 (le dernier recensement fait état d’environ 37 000 habitants).
En route pour l’Angleterre !
Fatigués de marcher (depuis le parking en Espagne, ça commence à faire quelques bornes en plein vent et plein soleil), nous remontons en direction de « Main Street », la rue principale commerçante et piétonne.
Mais pour nous y rendre, rien n’est simple ! Les rues sont si étroites et dangereuses que les autorités les ont bordées de barrières pour que les piétons ne se fassent pas renverser. On ne peut donc traverser les rues que sur les passages piétons, quitte à devoir faire 200 mètres pour trouver « une trouée » dans les garde-corps. Ce qui rallonge le parcours hihi.
En arrivant dans la rue principale, le dépaysement nous enchante : tout y est anglais … mais avec des touches hispaniques !
Le style des immeubles.
Les pubs et les « fisch and chips ».
Les boutiques.
Et même … les cabines téléphoniques et les boîtes aux lettres !
D’ailleurs, on croise plein de petits enfants anglais peaux blanche-neige, chevelures rousses et uniformes qui sortent de l’école !
Par contre, si les voitures peuvent avoir leur volant à gauche ou à droite, la circulation se fait à gauche comme en France ou en Espagne.
Au bout de « Main Street », c’est le cimetière abritant les tombes des marins de la bataille de Trafalgar (où la flotte franco-espagnole, dans le cadre des guerres de conquêtes napoléoniennes, subit une défaite cuisante face à la flotte anglaise commandée par le vice-amiral Nelson en 1805) qui nous occupe un moment, recouvert d’herbes folles et de fleurs printanières. L’ensemble a un charme fou !
Il est bientôt 17 heures et nos pieds sont en feu. Nous rebroussons chemin, repassons par la piste de l’aéroport et arrivons à la douane. A cette heure-ci, la file de voitures quittant Gibraltar est énorme, tout comme celle des piétons. Touristes et très nombreux travailleurs frontaliers ne pouvant se payer un logement sur place jouent des coudes pour quitter l’enclave le plus rapidement possible : il nous faudra patienter une bonne demi-heure pour regagner l’Espagne !
Nous retrouvons le van et passons la nuit juste en face du Peñon : une vue de millionnaires mais depuis un parking non gardé hihi.
Le bout du bout
Au matin suivant, pas d’hésitation : nous retournons à Gibraltar car nous n’avons pas fini d’explorer ce qui pouvait nous intéresser.
Retour à la frontière et présentation des passeports. Cette fois, nous prenons un bus de ville (il y a un ticket journée pour 9 euros par personne) qui nous permettra d’atteindre le point le plus au sud de l’enclave.
Mais auparavant, on veut visiter quelques jardins. Le bus (qui emprunte un nouveau tunnel passant sous la piste de l’aéroport) nous arrête vers l’entrée du téléphérique pour aller visiter le jardin botanique. Bel endroit, frais et parcouru d’un petit ruisseau.
Par contre, ce matin-là, il fait un climat anglais ! Le vent s’accompagne de gros nuages qui butent dans le rocher et le climat espagnol chaud et ensoleillé de la veille, n’est plus qu’un lointain souvenir. C’est génial ! Pour le coup on se dépayse sans efforts !
Notre pique-nique avalé, nous reprenons le bus en direction de « Europa point », la pointe extrême de Gibraltar. Il se faufile dans des ruelles étroites, manque d’accrocher sa carrosserie sur les murs des maisons qui surplombent la baie d’Algéciras, évite de justesse les voitures qu’il croise … On se félicite vraiment de ne pas être venus avec le Fiat !!!
Au bout, tout au bout de Gibraltar, nous tombons sur une mosquée, un stade, une église et une université !
Il y a un phare, aussi !
Et en face, à 14,3 miles, les côtes du Maroc où nous étions l’avant-veille ! La boucle est bouclée, nous avons relié les 2 colonnes d’Hercule !
Nous cheminons avec Carlito sur un petit sentier de randonnée fleuri qui offre des vues superbes aussi bien sur le pays voisin que sur des demeures avec piscines engageantes.
Le drapeau anglais flotte dans les airs en face de la baie d’Algéciras.
Il nous reste à revenir sur le sol espagnol. Nous n’aurons pas vu les singes de Gibraltar qui ressemblent en tous points à leurs homologues de l’Atlas. Ils se maintiennent au sommet du Rocher et dans la réserve naturelle. C’est une petite déception car ils constituent l’emblème de Gibraltar. Les habitants ont même coutume de dire que le jour où ils disparaîtront, le Royaume-Uni perdra l’enclave. Pour autant, nous sommes totalement satisfaits de l’avoir visitée loin des attractions pour touristes.
Une belle et dépaysante excursion que nous ne regrettons pas et encore un nouveau brassage de cultures et de populations qui interroge sur le concept d’identité.