La Colombie, le coronavirus et nous : une histoire courte devenue roman fleuve … (1)

 

Comme tout le monde, nous pensions que ça passerait vite. Comme tout le monde, les choses nous ont un peu échappées …

Et voici comment .

 

N.B : je précise que les observations faites dans tous mes articles ne valent que pour Guatapé. Je suis incapable de témoigner sur autre chose que ce que je vois puisque nous sommes enfermés dans le village depuis le 20 mars. Les choses sont sûrement différentes ailleurs  …

 

EPISODE 1 – R.A.S. sous le soleil

 

 

Que Dios nous donne toujours un ciel aussi dégagé que celui-ci !

 

27 février 2020 : y a de la joie !

 

Nous sommes contents ! Nos amis Isa et Aurélien sont sur le point d’arriver en Colombie ! Voilà plusieurs années qu’ils préparent un voyage de plusieurs mois, et ils devraient débuter celui-ci par la Colombie où nous vivons depuis presque 3 ans ! Les hôtels sont réservés, le planning arrêté. Tout est parfait. On récupère leur adresse pour leur faire livrer quelques affaires à nous apporter et le 1er avril 2020 leurs enfants et eux seront chez nous ! Le virus s’est déjà bien installé en France, mais sur toutes les télés on en plaisante encore. Isa me demande si elle me le ramène également, mais je ne suis pas très chaude ! Pourquoi ferait-on autrement que d’en rire puisque tout le monde le fait ?

 

5 mars 2020 : ça se complique

 

 Nous sommes conscients que le virus arrive en Amérique du sud. Les journaux colombiens tiennent un décompte exact du nombre de contaminés. Au 5 mars il y en a à peine une poignée. Peut-être 2 ou 5. Des colombiens qui ont rapporté ça sur eux depuis l’Espagne ou l’Italie. A propos de l’Italie, ma copine Claudia en visite chez sa soeur, en revient tout juste. Le pays n’était pas encore en quarantaine, mais, sentant le vent tourner, elle est rentrée à Guatapé plus tôt que prévu. J’hésite à l’embrasser quand je la revois, mais elle me garantit que la région où elle se trouvait n’était pas encore concernée par le Covid. Je l’embrasse donc. L’hôpital de Guatapé est mobilisé sur son cas. Elle prend sa température plusieurs fois par jour et répond aux appels téléphoniques des médecins. Je trouve la prise en charge sérieuse. Dans le pueblo, la vie touristique continue comme si de rien n’était. 

 

Je m’inquiète néanmoins car la Colombie vient de rendre obligatoire pour certains voyageurs un formulaire à l’entrée du pays dans lequel ils doivent indiquer leur provenance et destination, ainsi que leur état de santé. Il semblerait que tous les aéroports du pays soient tenus de prendre la température des visiteurs. Ce qu’ils ne font pas nécessairement. Les français ne sont pas encore sur la liste de ceux devant le remplir. Mais je me doute que les choses vont rapidement évoluer.

 

 

EPISODE 2  : S.R.A.S. SOUS LE SOLEIL

 

 

Tiens, on dirait qu’il va pleuvoir ! Mais que fait Dios ?

 

 

9 /15  mars 2020 – Le calme avant la tempête 

 

C’est le moment que tous les habitants du village attendaient, marquant la grande reprise des activités culturelles, artistiques et sportives. Les gens sont gais et heureux de se retrouver pour passer du temps de qualité ensemble, les enfants jubilent. Le  village est encore plein de touristes. Comme d’hab’ les commerçants se frottent les mains et comptent leurs billets. 

 

Pourtant, à plus vaste échelle, les mesures anti-covid pleuvent et chaque jour apporte son lot de nouveautés. Pendant que l’Europe continue à ne pas se protéger, les colombiens commencent à se méfier de tous ces vacanciers qui débarquent chez eux en étant potentiellement contaminés. L’Etat colombien les oblige désormais à faire quatorze jours de quarantaine quand ils arrivent. Certains jouent le jeu et d’autres s’en foutent complètement. Un couple de vieux se fait expulser. La honte, ils sont français ! Parallèlement, Isa et Aurélien qui ne doivent passer que 12 jours en Colombie, disent adieu à leur voyage. Carlito est en pleurs et nous sommes très déçus aussi. 

 

Le lendemain, pour la première fois, des enfants du village demandent à Carlito s’il n’est pas contaminé par le Covid, vu qu’il est français. Je me fends d’un Whatsapp explicatif au centre de formation culturel pour préciser que nous n’avons pas été contacts avec des français depuis plusieurs semaines et que les petits enfants n’ont rien à craindre. Pour la 1ère fois de ma vie, je revendique mon statut d’être humain et non de virus.

 

Le 13 mars 2020,  alors qu’il n’y a encore que très très peu de cas, on apprend que les écoles vont être fermées au-moins jusqu’à fin avril et que toutes les activités périscolaires seront aussi suspendues. Tout ça pour ça ???

 

Le dimanche 15 mars, je flaire que nous passons nos derniers jours en liberté. Nous partons tester notre capacité à effrayer la population en prononçant les mots « somos franceses » dans un resto où nous aimons déjeuner habituellement. C’est gagné : le perroquet de la famille s’enfuit en nous voyant arriver. Il est bleu de peur. Quant à nous, si nous avions su qu’il s’agissait réellement de notre dernier resto, nous aurions repris du dessert.

 

Ayuda !!! Son franceses !

 

 

16/22 mars : en route pour la quarantaine ! 

 

Lundi 16 mars : premier jour de confinement pour Carlito qui ne voit pas la différence par rapport aux autres jours de sa vie. Pour fêter ça, il reste en pyjama et nous supplie de lui laisser vivre une quarantaine sans instruction.

 

Le 17 mars, je fais beaucoup rire la secrétaire de l’ophtalmo chez qui j’ai normalement rendez-vous le lendemain dans une grande ville voisine. Elle n’en revient pas que j’annule mon rendez-vous pour éviter une éventuelle propagation du virus de Guatapé vers Rionegro et vice-versa au retour. Elle me félicite néanmoins pour mon sens civique, tandis que Jérôme ricane un peu derrière mon dos en me disant que j’en fais des tonnes.

 

Le 18 mars, comme les adultes sont encore libres, je cours acheter du PQ (je plaisante, bien sûr).

 

Le 19 mars,  les gringos de tous poils sont invités à rentrer rapidos dans leur pays s’ils ne veulent pas prendre un coup de pied au cul. Je me demande si cela inclut les expats’ car le discours du maire n’est pas si clair que ça. Bien sûr, ça ne concerne que les touristes qui ne sont plus du tout du tout les bienvenus.

 

 

De toute façon, y a plus d’eau dans le lac, c’est pas le moment de faire du tourisme. Ci-dessus la sécheresse vue depuis le Malecon

 

 

Le 20 mars,  l’ambassade de France se démène pour rapatrier les vacanciers. Certains pensent quand même rester et profiter en douce de leur voyage. Ils se font conspuer sur tous les forums et sont montrés du doigt par certains colombiens qui n’en veulent plus du tout.

 

Le même jour, le gouverneur du département qui, de toute évidence, semble avoir plus de pouvoir que le gouvernement, décrète une « quarantaine pour la vie » pour le WE férié de 3 jours qui arrive. Les maires des pueblos antioqueños rivalisent d’ingéniosité pour mettre en place des couvre-feux et empêcher les medellinois et bogotanais de venir jusqu’à eux.

 

Le 21 mars,  la « quarantaine pour la vie commence ». Le maire de Guatapé prend des allures de Churchill et déclare la guerre au coronavirus. A l’unanimité avec lui-même, il décide d’enfermer toute sa population chez elle. Interdit de sortir. Même pour faire des courses. Les habitants seront livrés à domicile. Les propriétaires de chiens ne peuvent s’éloigner à plus de 50 m de leur domicile pour aller faire pisser médor. Ici pas question de vouloir aller s’aérer ou faire un peu de sport.

 

Le même jour, le maire ferme les frontières du pueblo (toujours pas réouvertes 1 mois plus tard) : un bus est installé sur chacun des ponts permettant l’accès au pueblo. La police et l’armée sont mobilisées. On annonce un premier cas de coronavirus à Guatapé. Gracias a Dios ce n’est pas un touriste étranger qui l’a ramené jusque-là.

 

 

Crédit photo : alcaldia de Guatapé

 

 

22 mars : Je reçois 672 messages Whatsapp par jours. Mon tel a fondu. Si les supermercados du village ne répondent jamais aux appels et ne livrent pas en secteur rural, on sera mort de faim avant de mourir du virus. Comme les orangers croulent sous les fruits, on se console en faisant des jus.

 

23 mars  : le maire parle à la population. Au début, c’était 1 fois par jour, puis ça devient un peu tout le temps. Il ne faut donc pas s’éloigner de son FB si on veut connaître les nouvelles mesures restrictives annoncées. Il demande à tous de prier Dios pour l’équipe municipale, les soignants, les vieux et les autres. Au début, il demandait aux cathos de le faire. Aujourd’hui, il ratisse plus large. N’importe quel Dios peut faire l’affaire pourvu qu’il soit de bonne volonté. Mon pote Freyjo s’ennuie comme un rat crevé dans son appart. Comme la moitié de l’humanité, je crois. Mais ce n’est que le début.

 

 

EPISODE 3 : UN JOUR SANS FIN

 

 

 

24/26 mars : on a failli y croire !

 

24 mars : le réveil est brutal. Alors que la quarantaine pour la vie ne devait durer que le temps d’un week-end férié, le Président de la République décide sans en aviser la population que la Colombie entrera en quarantaine globale et générale  à partir de ce même jour jusqu’au 13 avril. Tout le monde est pris de court : il y a des personnes parties en WE qui ne peuvent plus rentrer chez elles, d’autres qui se bousculent quand même dans les terminaux de bus. La panique est générale. Nous attendons toujours notre livraison de nourriture, commandée à l’une des épiceries de Guatapé, mais non livrée.

 

26 mars : nous avons enfin été livrés en bouffe. Dios est grand. C’est le maire qui avait raison !

Il y a alors officiellement 416 malades du Covid en Colombie. Débute le 2ème jour de la quarantaine nationale instaurée par le gouvernement. Jusqu’au 13 avril 2020. Ou 2021 peut-être. Comme tout le monde édicte des règles dans ce pays et que les autorités locales semblent avoir plus de pouvoir que les autorités nationales, il est possible que nous restions en quarantaine pour très très longtemps. A Guatapé en tout cas. De toute façon toutes les frontières internationales sont fermées et il n’y a plus d’avions pour l’Europe ou le reste du monde.

 

27 mars – 16 avril : le néant total 

 

27 mars, 2 avril, 5 avril, 12 avril ….. Débute alors le jour le plus long. Qui se renouvelle tous les matins. Alors qu’ailleurs dans le pays les gens ont quand même le droit de sortir faire leurs courses (et quelques rares personnes de pouvoir continuer à travailler en dehors de chez elles), à Guatapé, le maire n’a rien voulu lâcher : il est toujours STRICTEMENT INTERDIT de sortir de chez soi.

Y en a qui ont essayé de s’échapper de chez eux, ils ont eu des problèmes …

 

Au début, je trouve l’enfermement plutôt angoissant. Ne pas sortir, ne voir personne me pèse. Je regrette les voyageurs que nous recevions chez nous ou que croisions au village. En plus, nous n’avons fait aucune course digne de ce nom ces derniers temps d’avant quarantaine : le stock de chocolat est au plus bas, le stock de vin est absolument indigne d’un français (2 bouteilles), le congel ne contient plus qu’un vieux cadavre immangeable de poule égorgée par le jardinier au mois d’août et quelques morceaux de yucas. Bon …

 

La bonne nouvelle malgré tout c’est que nous sommes depuis longtemps des pros du confinement ! L’année passée à 3 dans un tout petit fourgon et tous les derniers longs voyages en camping-car, nous donnent une longueur d’avance sur beaucoup. Nous sommes veinards de ne pas redécouvrir que nous avons un enfant et un conjoint,  tandis que l’instruction en famille et ses superbes engueulades, sont déjà notre quotidien depuis belle lurette. Bref, nous sommes rodés.

 

En revanche, ne me demandez pas ce que nous avons fait pendant ces 3 semaines car, en fait, je n’en sais trop rien. Tout paraît déjà d’un autre temps et j’ai du mal à me souvenir clairement de ces journées toutes pareilles. Ecole, probablement. Maison et bouffe, sûrement. Jardin, tout le temps. Côté boulot, convenons-en, c’était pas le rush. En plus, la motivation fait souvent défaut. Heureusement, notre mairie veille à nous occuper. 3 fois par jour, en direct, des activités virtuelles nous sont proposées : gym, danse, dessin, concerts, lecture. Tous les profs de la municipalité se relayent à notre chevet. Extraordinaire organisation pour que les gens acceptent de rester à la maison ! De ce point de vue, je suis bluffée !

 

 

Alors on danse …

 

Les journées se ressemblent et notre monde est désormais réduit à ce que nos yeux et nos oreilles peuvent en percevoir : le jardin, le morceau de lac devant la maison, la Pierre. Point final. C’est déjà pas mal, me direz-vous, c’est même très très luxueux par rapport à ce que d’autres vivent, mais sur le long terme ça ne compensera pas forcément la privation totale de liberté que nous subissons pour la bonne cause à Guatapé. Et les potes qui vivent en appart ne me contrediront pas..  

 

Un silence totalement inhabituel règne. Plus d’hélico , plus de plouquitos à baffles XXL pour nous défoncer les oreilles. C’est presque trop beau ! Parfois, un événement fou se produit. Le bruit d’une moto rompt le silence dans le quartier ! Vite tout le monde se précipite à sa fenêtre pour faire sa vieille commère. Tiens ! Le voisin s’est fait livrer 3 fois de la nourriture cette semaine … Pas normal tout ça ! Quoi ! Il part pour la 2ème fois de la journée au bout du chemin pour jeter ses poubelles ?! Si c’est comme ça, j’y vais moi aussi ! Ou alors je le dénonce à la mairie. A voir. Gnarf ! Gnarf ! Mais punaise … qu’est-ce qu’il m’arrive ?! Qu’est-ce que j’en ai à faire de la vie de mon voisin en temps normal ?!! Vite ! Sortons de cette quarantaine qui va rendre fou tout le monde ! Moi la première.

 

De son côté, Carlito qui pensait se faire une quarantaine de grosse larve bien grasse de canapé ne décolère pas. Son prof de danse lui envoie de très nombreux et exigeants exercices à réaliser chaque semaine. Entre la préparation et les vidéos à renvoyer (s’il ne veut pas être exclu du groupe au premier relâchement d’assiduité), ses après-midis sont trrrrrès occupés. Pareil avec le prof de dessin. L’ambiance militaire qui règne dans ce village est un peu déconcertante, mais nous finissons par nous en accommoder. Quant à moi, non contente d’être déjà une prof de français et d’espagnol pour mon fils, je me transforme également en prof de dessin et de danse. Je mourrai polyvalente, je vous le dis hihi

 

 

Juicioso

 

 

Pendant ce temps, les colombiens prient Dios. C’est la Semaine Sainte, ne l’oublions pas. La messe est retransmise virtuellement et le Christ passe dans les rues, dans la benne arrière d’un pick-up. La passion du Christ se vit depuis les balcons.. 

 

Mais Dios fait la sourde oreille. 2 cas de covid sont désormais déclarés dans le village. Pire, les nombreux colombiens et vénézuéliens qui vivent au jour le jour sans avoir un centime de pesos d’avance commencent à fortement souffrir de la faim, ici comme ailleurs. Le confinement, c’est un truc de (pays) riches, pas de (pays) pauvres. Nous, on n’est pas Dios, pas même dans les petits papiers de Dios, mais nous essayons quand même de nous mobiliser pour ceux qui n’ont rien ( et ils sont nombreux car, en Colombie, le gouvernement a fait primer la santé publique par rapport à l’économie, en limitant strictement les personnes autorisées à continuer à travailler si elles ne sont pas en télétravail). Pas facile quand on est isolé physiquement. La mairie vient finalement chercher les dizaines de kilos de fruits que nous récoltons pour ceux qui ne mangent pas à leur faim. Elle accepte aussi volontiers les donations en argent. Alors, nous donnons. Avec plaisir. Trop conscients d’être des ultras privilégiés dans ce monde de pauvreté. 

 

 

30 kgs d’oranges du jardin en voie d’expédition

Des régimes de bananes plantains en veux-tu en voilà

De futurs « mercados » réunis par un groupe de villageois pour d’autres villageois

 

 

 

EPISODE 4 – 

LA LUMIERE AU BOUT DU TUNNEL

DE LA QUARANTAINE ?

 

 

 

Crédit photo : alcaldia de Guatapé

 

 

 

13- 15 avril : une lueur d’espoir de sortie

 

13 avril : c’est la fin de la quarantaine ! Enfin, c’est ce qui était prévu à la base. Mais le Président Duque la prolonge de 2 semaines supplémentaires. Pour ceux qui vivent en appartement et qui n’ont toujours pas mis un orteil dehors depuis le 20 mars, la nouvelle est aussi rude que si on leur avait appris que tous les habitants du village étaient contaminés par le Covid. Je ris à en pleurer quand le Ministre de l’intérieur français affirme sans honte que le confinement à la française est l’un des plus stricts du monde !

 

 13 avril bis : le maire entend les suppliques de son bon peuple. Il faut au-moins laisser sortir les gens pour qu’ils aillent faire leurs courses. D’abord, parce qu’ils commencent à devenir dingues de vivre comme des criminels enfermés à double tours chez eux. Ensuite, parce que les livraisons c’est bien sur le principe, mais dans la réalité, c’est un peu foireux. Les commerçant ne se privent pas pour te refiler des fruits et légumes en fin de vie, des arepas alors que tu commandes des wraps, la bouteille de rhum la plus chère quand tu demandais juste un truc de base pour cuisiner. Et les prix sont fortement à la hausse. 

 

13 avril ter : un « pico y cedula » est mis en place. Les habitants, en fonction du dernier numéro de leur carte d’identité, peuvent sortir faire leurs courses le matin ou l’après-midi de la semaine correspondant. Faut pas rater ton créneau car tu n’as qu’une demie journée dans la semaine. Vite, vite, vite  ! Je regarde ce qu’il en est pour nous : p….. le jeudi matin pour moi et le vendredi matin pour Jérôme. C’est encore loin !

 

 

 

15 avril : je suis gaie comme un pinson ! Le lendemain, j’ai le droit de sortir pour la première fois depuis 27 jours ! Enfin élargir un peu mon champ d’horizon !

 

15 avril 21h07 : douche froide. Le maire, qui n’a jamais cessé de communiquer avec son peuple via ses directs Facebook, nous annonce que si les 2 premiers cas de Covid sont officiellement guéris, plusieurs cas suspects se sont déclarés cette semaine malgré le confinement total de la population de Guatapé. Probablement un chauffeur-livreur  qui se serait approvisionné à la centrale medellinoise de La Minorista qui vient d’être fermée d’urgence pour développement d’un dangereux  foyer de Covid.  Aaaarf !

Retour à la case départ : comme le virus circule de nouveau au village, le maire envisage de supprimer le « pico y cedula« . Pourvu que je puisse quand même aller faire 2 courses le lendemain ! On n’a pas mangé un morceau de viande ou de chocolat depuis 3 semaines et les chats sont aussi à court de croquettes. 

 

 

16 avril : une libération certes, mais une libération conditionnelle !

 

 

Au réveil, Carlito me demande si je suis « emocionada » de sortir enfin de chez nous. Je conviens que suis assez contente de pouvoir enfin  aller m’assurer que le reste du village existe bien encore !

 

9h37 : je démarre le moteur de la voiture. En route ! J’ai l’impression de me lancer dans une folle aventure alors que je pars seulement faire des courses.  J’ai mon kit anti-covid : le masque que m’a gentiment cousu ma voisine (comme tout français qui se respecte je n’ai pas ça en stock chez moi. Or, ici, je n’ai pas le droit de sortir sans) et ce qu’il me reste de gel hydroalcoolique. J’ai aussi mon laisser-passer : ma « cedula » finissant par un « 6 ». Youhou ! Je savoure ce moment en prenant un peu mon temps (je rigole, mais à peine hihi). Enfin pas trop quand même, car au 12ème coup de midi, mon Dacia se transformera en citrouille et la police pourra me mettre une amende de 300 euros (équivalent) pour avoir dépassé le délai imparti par sa majesté le maire. 

 

 

Sésame, ouvre toi !

 

9h 47 : personne sur la route. Je flippe. Et si j’avais mal compris ? Imaginons que les voitures ne soient pas autorisées mais seulement les piétons ? Je croise la police qui ne s’arrête pas. Hum … ça doit être bon. Mais que sont devenues nos libertés ?????? Qui a décrété sur cette foutue planète que le droit à la santé devait autoritairement primer tous les autres, sans qu’on ne nous demande jamais notre avis ? A quoi bon vivre une vie en bonne santé, si celle-ci doit se passer entre 4 murs avec pour seule compagne la propagande des gouvernements diffusée H24 par les médias nous tenant compagnie  ? A quoi servira la santé si ce délire devient la règle de vie du futur ? Pas sure d’adhérer à 100 % au concept, désolée de vous le dire.

 

 

Y avait dégun sur la route, j’ai eu aucun mal à faire une photo sans mettre quiconque en danger

 

9h50 : parking viiiiiide. Angoissant. Village fermé. Peu de gens la rue. 

 

 

 

9h51 : première étape, payer la facture d’eau à la Coopérative du village. Un comité d’accueil m’attend. Pendant que je décline mon identité, une bonne dame, masquée et gantée, m’asperge les mains de solution alcoolique. Comme je dégouline un peu, je m’attends à ce qu’elle me tende un mouchoir. Mais non. Elle me demande juste de lever les pieds pour arroser aussi mes semelles. Ziiiip ! Pieds trempés, dérapage contrôlé sur le carrelage, 2 double loop plus loin, j’ai payé mon eau.

 

 

 

 

9h 57 : je traverse la place vide. Une jeune fille me redemande ma cedula et inscrit mon identité sur sa fiche. Je vois bien qu’elle trouve mon masque « home made by mi vecina » un peu rigolo. Elle m’en propose un, un peu plus officiel. J’accepte avec reconnaissance, le ridicule attaquant ma dignité.

 

 

 

10h04, 10h12, 10h27, 11h08, 11h35 : on me redemande mon identité. Pfff … j’ai amorti ma cedula !

 

 

Che fou demande fotre chedula bor favor… Qué dice ?????!!! Désolée, lapacompri …

 

 

10h05, 10h13, 10h28, 11h09, 11h36  : à l’entrée de chaque commerce on me réasperge de désinfectant. Un coup sur les mains, sous les pieds, ouvrez la bouche, soulevez les rillettes. Hop ! hop ! hop ! J’exagère évidemment un peu pour la bouche et les rillettes, mais le reste est exact. Quoique pour la bouche, je serais presque tentée de le demander. Je ne sais pas ce que j’ai ce matin là, mais je pue du bec malgré mon hygiène dentaire irréprochable. Je vous jure que ça va être horrible de porter un masque à vie. Et ne vous moquez pas de moi, je suis sure que d’autres connaîtront ce problème. A ce compte là, autant porter un slip douteux ou une chaussette sale sur le nez  hihi

 

 

Dans les éviers installés dans la rue, je propose que soit mis à disposition du dentifrice en plus du savon

 

 

11h17 : le boucher remporte la palme d’or de la prévoyance. Comme partout, les clients ne sont pas autorisés à pénétrer dans sa boutique, mais lui, a en plus scotché une croix sur son entrée. Dios est parmi nous en rempart anti covid. Mais le meilleur est à venir. Il pulvérise d’alcool mon sac rempli de viande avant de me le rendre dégoulinant +++ et fait de même avec les billets de banque que je récupère tout mous et à mettre à sécher. Aaarg ! Je ne suis pas sortie avec mon étendoir portatif !!! 

 

 

 

11h20 :  Je croise mes amis commerçants vénézuéliens qui eux aussi sont autorisés à sortir. C’est bon de discuter 5 mns. Gerardo pense que Jérôme, Carlito et moi vivons déjà dans le futur par rapport au reste de l’humanité. Dans le futur ?! Je ne comprends pas trop. Il m’explique alors que selon lui, le futur ce sera non pas d’accumuler des biens et des magasins, mais de posséder un morceau de terre pour y faire pousser sa nourriture et de tendre vers une autonomie alimentaire et électrique. Damned ! La quarantaine chamboule même les plus capitalistes d’enter nous hihi . Cela dit, comme je sors rarement avec 30 kgs de fruits dans mes poches,  je lui confie de l’argent pour aider 4 familles vénézuéliennes dans le dénuement le plus complet. Tout cela me fait mal au coeur : ceux qui auront été protégés du covid seront ceux qui mourront  de faim demain sur les bords des routes. Je promets d’autres aides pour les jours à venir.

 

11h42 : je rentre chez moi. La parenthèse (dés)enchantée est finie. J’empeste l’alcool. On dirait que je suis allée me pochetronner au bar du coin. Je quitte enfin mon masque que je jette à la poubelle, désinfecte les courses, place mes vêtements dans la machine à laver, file prendre une douche. On dirait que je reviens d’une expédition-désinfection à Tcherbonyl. Mais, non, je suis juste allée faire quelques courses. 

 

20h14 : le soleil est couché depuis longtemps. Je reçois un nouveau message Whatsapp d’une amie de Guatapé. Il y a encore 20 familles de plus à aider si l’on peut. 20 familles … Avec tout ce qu’on a déjà donné, on a dû en soutenir une trentaine au total depuis 15 jours. On se propose de donner du boulot à une autre, mais le maire doit nous accorder son autorisation. Mais comment les gens qui ont encore quelques économies, les commerçants les plus prévoyants par exemple, vont-ils pouvoir épauler sur le long terme ceux qui n’ont rien, puisque, eux-mêmes, n’ont plus aucune rentrée d’argent ? Ici, le RSA n’existe pas et les aides de l’Etat aux plus démunis sont insignifiantes. Sans solidarité entre les habitants, rien n’est et ne sera possible. Quand je pense qu’en France on nous bassine avec la fraternité, en Colombie il y a longtemps que le concept n’est plus une coquille vide. Il incarne la réalité quotidienne. Par nécessité et parce que les colombiens ont très globalement bon coeur.  En confinant aveuglément, est-on vraiment sûrs que la famine ne tuera pas les gens bien avant le virus ?

 

 

Si tu as plus que les autres, donne Si tu n’as rien, prends. C’est gratuit

 

 

20 avril : une nouvelle semaine de quarantaine débute ….

 

… Et elle débute chez nous. Hier soir, le maire a décidé de mettre un terme au « pico y cedula » de la semaine précédente. Retour à la case départ. Je suis inquiète : il n’y a plus qu’un cas suspect dans le village, en isolement encore plus strict que les autres, et le maire continue à nous priver de toutes nos libertés. Les mesures prises sont évidemment de bonne foi, mais terriblement disproportionnées. Pourtant, ce sont les habitants qui l’ont supplié de nous enfermer à nouveau pour nous protéger du Covid.  La manipulation par la peur a un bel avenir en Colombie…  

 

 

 

P.S. Malheureusement, le confinement s’est ensuite prolongé presque à l’infini…

Si cet article vous a intéressé, vous pouvez lire la suite de nos (més)aventures ici :

5 pensées sur “La Colombie, le coronavirus et nous : une histoire courte devenue roman fleuve … (1)

  • 18 avril 2020 à 9 h 01 min
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    Eh bonjour les colombiens , contente de vous savoir en bonne santé . Désolée le temps passe si vite qu’il y a treeees longtemps que je ne suis pas allée sur ton site. Je vois que le confinement est plus dur que chez nous. Ici c’est tout et n’importe quoi et avec ce gouvernement de merde et son roi soleil… C’est écoeurant, inadmissible, et j’espère que ça va bouger après et que ça va dégager manu militari . J’ai vu Carlito, qu’est qu’il a changé waouh et il te ressemble de plus en plus . Nous ici ça va, je suis en télétravail depuis le début, on n’a pas du tout a se plaindre quand tu as maison et jardin et je vais matin et soir voir mes chevaux pour les nourrir et les abreuver. Concernant les contrôles… En un mois passé de confinement, je n’ai jamais été contrôlé ni quand je vais faire mes courses à Mallemort une fois par semaine. Ils doivent être sur les grands axes…. Mes les gens… Les Français quoi… Sont … comment dire, pour certains.. plus forts que tout le monde, sans rien sur eux… En dilettante… Comme s’ils étaient invincibles… C’est malheureux de voir ça… Des abrutis égoïstes sans cerveaux qui ne pensent pas à leurs proches… J’ai lu que tu avais des chats , nous, nous en sommes à 9… Oui oui.. des loulous venus d’ailleurs… La dernière en date, une petite chatte balancée au pré … Que j’ai rapatrié à la maison car aucune confiance avec les chiasseurs et leurs méthodes d’un autre temps (j’ai déjà perdu une petite chatte la bas à cause d’un collet et je m’en veux de l’avoir laisser au pré)…. Bon sinon tout va bien pour nous, en attendant le 11 mai… Qui ne sera pas le jour du deconfinement, faut pas rêver… On vous fait des gros bisous et à très bientôt, il est 10 h je file au pré

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    • 22 avril 2020 à 15 h 56 min
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      Hola Mme Sylvie ! C’est un plaisir d’avoir de vos nouvelles ! N’hésite pas à m’en donner plus souvent ! On vous embrasse bien fort !

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  • 19 avril 2020 à 4 h 19 min
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    Salut, Valérie, je viens de caler mon insomnie passagère avec ton récit covidien… dur, dur !
    C’est curieux, vu d’Europe, on aurait imaginé l’AduS bcp plus laxiste (et nos pérégrinations au Bélize et au Panama, quoique très sommaires, nous auraient plutôt poussés à penser que ce serait un peu bordélique). D’un autre côté ces pays ont des traditions militaires qui ne sont pas piquées des vers (enfin pas le Bélize qui a abandonné l’idée d’avoir une armée opérationnelle… les Niçois, qui sont à peu près aussi nombreux font comme les Béliziens, ils ont une police municipale =D)
    Le Portugal… qu’on prend pour un pays peuplé de gens rustres et plus ou moins tous maçons… a un ADN un peu particulier, remanié au cours de la relativement récente dictature dans une modalité de résilience. Au moment où Marcelo (c’est comme ça qu’ils appellent leur président, même aux news de la télé) a décrété l’état d’urgence, il était déjà en confinement et ne réunionnait déjà plus qu’avec des écran de vidéo… au lieu de faire le kéké dans les hôpitaux et les écoles, provoquant des émeutes de gens amateurs de selfies qu’un service d’ordre mollasson ne remet même pas à distance. Les français… tu sais, les mecs si intelligents qui se prennent pour les rois du monde… ils battent des records (quand tu ramènes les chiffres à la population, ce qui est le premier réflexe de tout initié aux statistiques qui se respecte, évidemment) de lamentabilité et de pitoyabilité (je sais pas si ces mots existent, mais je les adoube et je les ajoute à mes joyeuses créations linguistiques !). Les Portugais, ces rustauds aux femmes qui ont des poils sous les bras (mais ce sont peut-être les Espagnoles, ou les deux…), ils ont chopé l’affaire dès le début avec des mesures fermes – mais pas carcérales non plus – et ils ont moins de morts au total depuis le début de l’affaire que les français par jour (même avec la décroissance). On fait même un peu mieux que les Danois qui se prennent pour les meilleurs. Au supermarket, les deux première heures sont réservées aux “vieux” de plus de 65 ans. Ils sont gentils avec leurs anciens et ils ne les bousculent pas ! Mais ils sont comme ça tout le temps, pas besoin de virus… ou alors ils sont infectés depuis longtemps 😉
    Je ne sais pas trop pour les grandes villes (Lisbonne et pas mal Porto au Nord) mais dans les petites villes, on ne meurt pas… ou très très peu ! Dans le pays entier, le record de personnes en réa n’a pas touché les 300… Dans notre “région” il y a eu un total de 3 morts… de plus de 80 ans.
    Je crois qu’il y a beaucoup de “très” vieux qui auront profité du virus pour se faire la malle… je dis pas ça méchamment, vaut mieux ne pas se réveiller le matin. Mais bon, c’est une manière comme une autre et, finalement, c’est assez rapide.
    Bon, je suis très fière de nos compatriotes d’adoption comme tu as pu le deviner. Et le petit marchand de plans en bas de la colline, il est considéré comme commerce de première nécessité dans le coin, donc il est ouvert. Parce que le potager, ça rigole pas !
    Par ailleurs, comme il faut plus qu’un virus de trafalgar pour les démonter, les restaurateurs ont tous installé une table et un tableau à l’entrée de leur restaurant et ils assurent tout… sauf les places assises… pour des prix défiant l’entendement d’un bon français. On comprend qu’il y en ait qui ne se donne même plus la peine de faire la cuisine.
    Un de mes potes ici, peu après mon arrivée, alors que je lui demandais une adresse pour trouver quelque chose m’a répondu avec une sourire : mais ici, si tu ne trouves pas quelque chose, tu le fais faire !!! Il y a des voitures qui ont trente ans d’âge et qui auraient l’air de sortir de l’usine… si elle n’étaient pas esthétiquement passés de mode depuis belle lurette.
    Allez, les paupières commencent à s’alourdir sérieusement, il est temps que j’aille faire ma deuxième moitié de nuit. Je suis contente d’avoir papoté un peu avec toi, et prends bien soin de toi et de ta petite famille.
    Je te fais un gros hug… et je t’envoie de bonnes ondes pour t’assister dans ta privation de liberté !
    Bizzzzzzzzzzz

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