Ceci aurait pu être une fiction…
Quand le réveil a sonné ce matin-là, j’étais loin de me douter que le froid serait si vif et qu’il me faudrait un certain temps avant de réchauffer celle qui me conduirait à l’Université, à savoir la petite Clio grise garée devant chez moi. Bercée par les discours récurrents sur le réchauffement climatique, je n’envisageais pas que le thermomètre extérieur puisse me jeter à la figure la température de moins 10 degrés…
Disons, qu’en Provence, région réputée pour sa chaleur (en tout cas dans l’esprit de ceux qui n’y vivent pas), la chose paraissait improbable. Je déteste le froid. Je le déteste tellement que j’ai déménagé dans le sud il y a plus d’une vingtaine d’années pour que celui-ci ne soit plus qu’un mauvais souvenir. En vain, il faisait un froid polaire sans la beauté de la neige … A la radio un communiqué du ministère de la santé et du CCC (le comité contre les cons) nous rappelait que, « pour notre sécurité », en hiver il faut s’habiller chaudement et bien penser à ne pas laisser les vieux et les bébés dormir dehors. Il avait dû y avoir des précédents l’année d’avant, mais nous n’étions pas là pour le savoir …
Sur la route nous conduisant à l’école, Charles m’a demandé 10 fois à quoi cette dernière pouvait bien servir. J’ai répondu les banalités d’usage et comme il insistait, me rappelant qu’il avait mieux appris quand nous étions en voyage qu’assis sur le banc d’une classe, j’ai fini par l’envoyer bouler en lui disant que toute façon, je n’avais pas le choix, sauf à me mettre l’inspecteur d’académie sur le dos, puis les services sociaux avant de terminer ma course assignée en justice pour maltraitance. Nous ne voulions pas ça, ni lui, ni moi. OK j’aurais préféré lui faire faire du unschooling plus longtemps mais la législation s’est tellement durcie ces 2 dernières années, que je reporterai mon projet à plus tard. Ou plus loin. Ou plus tard et plus loin. Ou pas. En attendant, il ne me restait plus qu’à lui faire faire ses vaccins obligatoires (« pour notre sécurité » et accessoirement les profits des labos) et à l’inscrire dans une école. Par chance, nous étions tombés sur une maîtresse formidable.
Trois kilomètres plus tard, nous arrivions enfin à l’école. En retard car j’ai encore du mal à négocier les 14 ralentisseurs jetés par-ci, par-là au hasard des routes qui séparent celle-ci de la maison. Bizarrement, ils n’existaient pas avant, et tout semblait se passer correctement. Faudrait-il soupçonner un gros marché public bien juteux pour tous ??? Mais non !! Ne voyons pas le mal partout ! Comme le disent les panneaux lumineux sur les routes et les autoroutes, c’est « pour votre sécurité » que des radars ont été installés partout. Alors, pourquoi pas des ralentisseurs ? Avant, la violence routière était le fait des automobilistes, maintenant elle est celui de l’Etat qui met chacun d’entre nous dans un état de stress incroyable dès qu’il monte dans sa bagnole.… Par chance sur le chemin de l’école seuls 2 panneaux avec des smileys « bouche sourire » ou « bouche fâchée » me rappellent à mes obligations, avec tout de même une petite sous-mention « 32 kms/h – 1 point » ou « 41 kms/h – 2 points » que je trouve hyper agressive. Mais bon, je suis une hyper sensible, alors il faut relativiser. Moi, Valérie B., dangereuse criminelle, j’ai roulé à 32 kms/h à la place des 30 autorisés et me verrai sanctionnée en conséquence !!
Heureusement, en France, la justice sait être juste et équitable. La radio me rappelle ainsi que Christine Lagarde, directrice du FMI, a bien été jugée coupable de négligence dans l’affaire l’opposant à Bernard Tapie, mais dispensée de peine eu égard à son statut. Heureusement, le jeune homme ayant giflé l’ancien premier ministre Manuel Valls, s’est vu instantanément condamné à 3 mois de prison avec sursis. Tant qu’au gars soupçonné d’avoir aidé des réfugiés, il sera lui aussi puni sévèrement. Je suis parfaitement rassurée de voir notre justice à ce point performante. D’autant que le droit, c’est mon boulot. Je ne voudrais pas traverser une crise existentielle. Heureusement, cela ne risque pas d’arriver en France car, non seulement la justice est impeccable, mais notre législation l’est aussi. C’est pas chez nous que les lois risqueraient de changer chaque année et d’être dictées par les lobbys de l’industrie pharmaceutique, de l’industrie agro-alimentaire ou par des multinationales en tous genres. Non, non, non ! Au pire, le sont-elles par l’Union Européenne, mais ça, c’est autorisé !
Ah qu’il est bon d’être universitaire ou plus exactement Maître de conférences en droit ! J’ai toujours plein de choses à raconter à mes étudiants ! La joie et la bonne humeur sont le lot quotidien de l’Université française, et de la mienne en particulier, trop heureux que nous sommes de jouir pleinement de « notre » principe constitutionnel garantissant « la liberté des enseignants-chercheurs » !
D’ailleurs, ce matin-là, j’étais partie pour profiter pleinement de ce noble principe. Je devais simplement aller surveiller des examens de comptabilité (aucun rapport avec mes matières donc) comme l’administration me l’avait intimé sans espoir d’y échapper.
La journée devait se poursuivre par une réunion brain-storming sur « l’abandon de la structuration de la recherche par axes au profit d’une recherche par thèmes » 😯 😯 😯 . Or, comme nous l’avait très clairement (c’est exactement le terme ) rappelé quelques semaines plus tôt notre directeur de composante (anciennement appelé « doyen », avant que le terme ne soit jugé comme insuffisamment technocratique par l’Administration ) « après la candidature portée par le laboratoire, dans le cadre de H2020 à un projet de type COST, un projet de bourse CIFRE sera en cours et en cas d’échec à la candidature COST, nous déposerons une candidature de type ANR PCRI » 😕 😕 Comme vous, je ne comprenais rien du tout à ce qui était abordé, mais affichais malgré tout mon plus beau sourire n° 37 « cause toujours, cher collègue, tu m’intéresses, de toute façon je vais me barrer » tout au long de l’après-midi.
Ah ! Qu’il est bon de pouvoir exercer un métier intellectuel où il suffit d’avoir une idée, un bout de papier et un stylo pour faire naître de notre cerveau bouillonnant une étude captivante et utile à la société ! N’est-ce pas pour cela que j’ai embrassé il y a bien longtemps maintenant cette noble profession d’universitaire, aux termes de 10 ans d’études et d’un concours hyper sélectif ?!
J’avais alors la foi ! Je voulais offrir le meilleur de moi-même à des étudiants avides de savoir et à une Société française mourant d’impatience de lire ma prose révolutionnaire sur les droits des travailleurs ! Mon créneau, c’était les « libertés fondamentales ». Les droits de l’homme si vous préférez. Je parle à l’imparfait car j’ai bien cru me retrouver au chômage faute de grains à moudre. Imaginez plutôt ! La France pays des droits de l’homme ! J’avais un boulevard devant moi !! Et puis, allez savoir pourquoi – le terrorisme, peut-être ou les panneaux lumineux « pour votre sécurité » – ces libertés et ces droits dont nous étions si fiers, ont commencé à fondre comme neige au soleil. « Pour notre sécurité », l’administration qui était déjà démente a accru sa réglementation inepte et ses contrôles tatillons au point d’étouffer dans l’œuf la moindre velléité créative de ses citoyens. « Pour notre sécurité », l’Etat a élargi ses fichiers. « Pour notre sécurité », il a mis en place l’état d’urgence. « Pour notre sécurité », des militaires se baladent partout au nom d’une opération baptisée vigipirate. « Pour notre sécurité », il s’est mis à justifier n’importe quelle restriction de liberté. Que nous acceptons comme des moutons « pour notre sécurité ». Quand le ministère canadien des affaires étrangères invite ses citoyens à faire preuve de la plus grande prudence en France, qu’il soit rassuré, l’Etat français a déjà pris les mesures nécessaires pour étouffer sa propre population. Quant à moi … qu’allait-il me rester à enseigner ?
La veille au soir je m’étais déjà interrogée à ce sujet. Avant, quand je faisais mon cours de « Libertés fondamentales », je commençais toujours par le principe avant d’énumérer les exceptions. Maintenant, c’était mieux de faire l’inverse. Et puis, de toute façon, de quels droits et libertés allais-je parler ? Exit la liberté de religion et la laïcité, trop dangereux. Exit la liberté du travail, puisqu’il n’y a plus assez de volontaires en France pour l’exercer. Quant au droit AU travail, il y a bien longtemps que nul ne songe à l’invoquer. Exit aussi la liberté d’aller et de venir, avec l’état d’urgence. Ah ! Si ! Il me restait quand même les droits à prestation sociales qui, dans notre pays, continuent à remporter un franc succès. Pour le reste, plutôt que développer les libertés, j’allais m’orienter sur la sécurité. Et dire que j’avais déjà banni du programme de droit constitutionnel le concept de « démocratie », devenu trop subversif dans notre société !!
Au final, cela ferait l’affaire de notre Université presque en faillite. L’examen final en libertés fondamentales serait réduit à sa plus simple expression et je pourrais coller au nouveau concept fraîchement inventé de « l’examen sans surveillant ». En effet, notre employeur nous avait expliqué que notre manque d’argent ne nous empêcherait pas d’organiser les examens, mais seulement de recruter et de payer des surveillants. Le concept m’avait surpris mais avait remporté un franc succès auprès des étudiants. Du coup, nous étions plusieurs universitaires à nous demander si, pour corriger les copies, nous n’allions pas nous contenter de les jeter dans un escalier et de leur apposer la note correspondant au numéro de la marche. Notre professionnalisme ne s’accommodant pas d’une telle facilité, nous avons malgré tout choisi de procéder plus académiquement, comme à l’accoutumée !
Le lendemain, je débutais donc mes cours du second semestre. Une partie des étudiants était assise bien sagement en attendant de recevoir sa pitance intellectuelle. Une autre avait les fesses posées sur les bureaux, écoutant de la musique. Mais, la plupart étaient absents, en particulier les 56 boursiers officiellement déclarés « défaillants » à la fin du premier semestre, à qui nous allions néanmoins continuer à servir une bourse pour les 6 mois à venir, bien qu’ils aient choisi de l’utiliser à d’autres fins qu’à celle d’étudier (avant qu’on ne leur demande plus tard de la rembourser, à leur plus grand étonnement). En calculant à la louche, ça devait faire environ 150 000 euros partis dans la nature qui auraient été mieux investis à (entre autres) rémunérer des surveillants et à créer de nouveaux postes d’enseignants-chercheurs. Mais une telle création était gelée, nous avait signifié notre employeur. Gelée, comme la glace sur le pare-brise de la bagnole au petit matin. Gelé … tout était gelé en France … Seuls les gars de la météo reprenaient des couleurs en commentant une vague de froid qui n’en finissait pas. Faute de pouvoir parler de « libertés » aux étudiants, par manque de matière première, j’entreprenais comme prévu de les instruire sur la sécurité, la France étant devenue en quelques années un pays craignos (au moins aux yeux des autres pays) pouvant pourtant se vanter de n’aligner que 238 morts par terrorisme depuis 2015 et seulement 802 homicides en 2016 (et pas seulement à Marseille, je devine votre sourire en coin). Une paille, donc.
Mon cours ayant remporté un franc succès – au-moins auprès des étudiants ayant pensé à enlever les écouteurs de leurs oreilles et / ou choisi de cesser de visionner une série sur leur ordi – c’est l’esprit léger que je me rendais dans mon bureau pour lire et répondre aux 237 mails reçus dans ma boîte pro le jour même. Tous urgents. Tous im-pé-ra-tifs. Et la plupart incompréhensibles. A part celui d’un étudiant, tout à fait explicite, lui, menaçant de traîner l’Université devant le tribunal administratif parce que le jury d’examen avait refusé de valider son semestre avec une moyenne (pourtant de) 8 /20. Je zappais donc sur ma boîte mail personnelle, histoire de voir si des copains ne m’avaient pas envoyé leurs vœux ou transféré un mail avec un montage d’aphorismes inspirants sur fond de chatons mignons. En effet, un copain m’avait écrit. Le Trésor public. Pour m’annoncer que finalement, je n’étais pas résidente chilienne et que, s’il gardait bien le trop payé d’environ XX XXX euros à cause d’une erreur de leur part (impossible d’écrire cette somme à 5 chiffres, je manque encore de m’évanouir), il acceptait de considérer notre bonne foi et d’établir (un jour) une nouvelle imposition. Chic ! Enfin une bonne nouvelle ! Fauchée, certes, mais reconnue de bonne foi. L’honneur était donc sauf.
C’est donc avec cette bonne nouvelle que je rentrais ce soir-là chez moi, heureuse de la partager avec Jérôme. Charles étudiait le « prédicat » (qui n’est pas un petit animal velu mais un terme signifiant « la partie de la phrase qui porte l’information verbale »), se réjouissant de la future simplification de l’orthographe française qui un jour conduirait à écrire analphabète « analfabète », soit littéralement « crétin qui fait de la musique avec son cul » et non plus « personne qui ne connaît pas les lettres ».
On était bien et je me demandais quelle mouche nous avait piqués de vouloir quitter notre beau pays …
A suivre…
Yes rien a dire sauf de quitter cette france de plus en plus pourrie !!! Des bisous
Coucou Valérie,
c’est tristement vrai… la bureaucratie, le pessimisme ambiant, le blocus , les étudiants qui n’étudient pas !!!
Bref va-t’en !! :))))
bisous
Encore une fois tu as parfaitement raison. .
Beaucoup d’humour dans cette description…. J’ai aimé lire cet article. Nous aussi avons tout vendu et nous recherchons à l’heure actuelle une petite guest-house où un hôtel de charme mais proche de la mer si possible pour ouvrir un petit club de plongée pendant notre tour du monde..
Nous n’avons pas visité la Colombie ..avez vous rencontré des difficultés pour vous installer ?
Bonjour
Superbe voyage très bien commenté.
Comment faire pour être averti par mails des nouveaux messages?
Pour nous, le voyage démarre dans 6 mois, nous sommes impatients de partir.
cordialement
jean marc
Bonjour,
Merci pour l’écriture de cet article rempli d’humeur et d’idées. Nous préparons nos vacances pour cet été.
Vous avez bien raison de partir… notre pays devient de plus en plus pourrie, bon va falloir économiser pour un billet d’avion si je comprends bien car je kiff la « baignoire » de la salle de bain de la chambre Alegria et cette vue sur le lac……
Ça balance… dans tous les sens du terme 😉
J’adore… surtout que c’est fait avec légèreté et… sans attachement aucun, bien évidemment, surtout pas à notre belle patrie !!!
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