On le savait … Mais ….

 

 

Retour imminent, chargé de questions

 

 

Vendredi 22 juillet 2016, 10 heures. C’est le jour de notre retour en Europe. Nous le savons d’assez longue date et nous nous résignons à l’accepter. Mais, c’est au moment où je pose le pied sur la première marche qui me conduira dans l’avion que je prends la réalité en pleine figure : c’est fini !! Mon cœur se serre. Une question qui ne me lâche pas depuis plus d’une vingtaine d’années tourne en boucle dans ma tête : « pourquoi partir, si c’est pour revenir ? ». Moi, quand je suis partie, quand j’ai quitté un lieu de vie ou une personne, je n’ai jamais fait marche arrière, je ne suis jamais revenue. Alors, pourquoi cette fois les choses sont-elles différentes ?

 

Je sais que Jérôme ne le vit pas comme moi car, pour lui, le voyage appelle nécessairement un retour. Et je sais qu’il a raison quand il soutient qu’il est impossible de voyager au très long cours sans date de retour. Pour des raisons financières, bien sûr, pour des raisons personnelles, aussi, mais aussi parce que le voyage au long cours génère une vraie fatigue. Pour lui, départ et retour sont consubstantiels. Pour moi, non. Je ne peux me résoudre à « avoir fait tout ça », pour revenir dans ma vie d’avant. Et nous sommes d’accord sur un point : il va être difficile de reprendre nos vies telles que nous les avions laissées, un peu comme on se résoudrait à remettre de vieux vêtements par souci de commodité, tout en se rendant compte qu’ils ne nous vont plus du tout !

 

Alors oui, ce jour-là, c’est le cœur un peu lourd et avec de nombreuses interrogations que nous nous asseyons dans l’avion. Inutile d’en discuter avec nos familles. Nous sommes heureux de les revoir et pourtant, nous savons qu’elles ne nous comprendrons pas forcément, trop contentes de nous « récupérer ». Nous avons vécu très loin de leur cadre de réalité pendant 13 mois, et leur souhait est de réintégrer les pièces manquantes du puzzle pour que tout soit à sa place comme avant. Or, quand bien même l’accepterions-nous, l’appellerions-nous de nos voeux, cela est-il possible ? J’ai l’impression que non car nous sommes à jamais changés (en bien ou en mal, c’est selon).

 

C’est donc avec un peu d’appréhension que nous attendons le moment de la rencontre car nous redoutons d’avoir des difficultés à reconnecter nos longueurs d’ondes hihi

 

 

Le retour avec 15 jours de recul

 

 

Lundi 25 juillet. Notre avion se pose sur le tarmac de Marseille. Débute alors une nouvelle aventure : celle du retour en France ! Pour se consoler et détendre l’atmosphère on se dit que c’est un peu comme visiter un énième pays étranger. D’ailleurs, sans trop se forcer on pourrait voir les choses comme ça, le pays semblant avoir bien changé depuis notre départ.

 

Pourtant, le dépaysement n’est pas là. Premier coup d’œil sur la Provence : la méditerranée est toujours aussi bleue, le paysage est toujours aussi grillé, les cigales chantent, le mistral souffle. Immuable !! Nous sommes choqués par la sécheresse qui, comme chaque année, a jauni la végétation : c’est super moche et on a pas envie d’être là. Deux questions hantent alors nos pensées : nos proches vont-ils nous aider à passer le cap ? Le retour au bercail va-t-il se faire facilement ?

 

 

Le tourbillon des retrouvailles

 

 

Wahou ! Voici 13 ou 14 mois que nous n’avions pas vu familles et amis et nous sommes vraiment contents de les retrouver ! Le nombre d’invitations reçues en si peu de jours nous prouve que la réciproque est vraie et que beaucoup de ceux que nous avions laissés nous attendaient avec impatience. C’est chouette et réconfortant de passer nos soirées avec ceux qui ne sont pas partis en vacances, voire qui sont spécialement revenus pour notre retour ! Quel accueil ! Nous sommes ravis !

 

 

Pourtant – car il y a un pourtant – nous ne sentons pas toujours très à l’aise. Au début, nous mettons cette impression sur le compte des 7 heures de décalage horaire que nous avons du mal à encaisser. Nous sommes un peu « flottants », un peu comme sur un nuage dont on ne parviendrait pas à redescendre. Nous allons très vite nous rendre compte qu’il s’agit d’autre chose.

 

Une première chose nous surprend. Enfin, ce n’est pas exactement le terme, car nous nous y attendions : notre voyage n’est qu’assez peu au centre des conversations. Hormis les personnes aimant voyager ou souhaitant aussi réaliser un voyage au long cours, les autres n’abordent quasiment pas le sujet. Au mieux, on nous fait comprendre que tout a déjà été dit et lu sur le blog. Au pire, que le voyage n’intéresse pas trop nos interlocuteurs. La sensation sans être frustrante (on s’est déjà beaucoup raconté sur le blog), n’en est pas moins étrange !! Bien sûr, nous avons pleinement conscience que le voyage peut ne pas passionner tout le monde et que c’est absolument normal !! Rien à redire à cela ! Mais, nous, là, maintenant tout de suite, on a que ça à raconter !! Certains finissent quand même par le comprendre en nous tendant cette magnifique perche « Alors ??? C’était bien ??? ». J’adore cette question qui met fin à toute discussion avant même qu’elle n’ait commencée, réponse monosyllabique obligeant : « oui ! ». Tout est dit, y a plus qu’à changer de sujet hihi !

 

Deuxième surprise (ou pas) : la conversation reprend donc là où nous l’avions laissée 13 mois plus tôt. De quoi parlions-nous déjà ??!!! Ah oui ! De la pluie et du beau temps ! Poursuivons ! On peut aussi y inclure le sujet du terrorisme, après tout, pour nous, c’est nouveau !! Et blablabla et blablabla et blablabla … N’oublions pas, non plus, les sujets qui nous montrent à quel point nous nous sommes exclus et /ou ringardisés par rapport à la société de consommation ! Commmmment ! Vous n’avez pas entendu parler des Pokemons Go !!! Non !!!!! Rhooo la looooose ! Et le dernier smartphone machinchose ? Vous allez l’acheter j’espère !!! Avec tout ça, nous n’avons pas l’impression d’être à notre place. Le corps en France, la tête dans les nuages. Nous manquons de conversation et peinons, pour de bon, à nous intéresser à ce qu’on nous raconte. On fait de notre mieux, mais c’est pas facile hihi

 

C’est d’autant plus difficile que, troisième surprise (ou pas), les gens se lassent très très vite de nous. Sommes-nous devenus à ce point infréquentables et cons ? Peut-être … Je n’ai pas de recul suffisant sur nous-mêmes pour le savoir. Toujours est-il que passés les premiers « moments d’hystérie », c’est nous qui passons à la trappe ! On nous a vus, c’est bon. Je commençais à me dire qu’on devait vraiment puer quand ma sœur m’a donné la clef du mystère : « ben, finalement, c’est pas parce que vous êtes rentrés qu’on va passer toutes nos journées avec vous ! La vie continue, on a d’autres choses à faire ! On sait que vous êtes là, on est rassuré, c’est bon ! ». Ahhhh ! OK ! C’est donc pas un problème d’hygiène ou de connerie ! Et la vie reprend telle qu’avant, en dépit des promesses de passer plus de temps avec nous qu’avant notre voyage. Donc, pour résumer : ceux qui, avant, avaient l’habitude de nous téléphoner régulièrement, continuent à le faire et les autres continuent à nous oublier hihi.

 

Avec tout ça, une quatrième surprise (ou pas) se profile : très peu de gens nous demandent nos projets d’avenir. On parle de leur vie, de leurs projets à eux, mais il est généralement acquis que notre futur proche et lointain c’est le retour en France dans une vie bien rangée. Comme si on avait un temps perdu une pièce du puzzle de la vie et qu’une fois retrouvée, celle-ci était vissée pour l’éternité dans le reste du jeu. Donc, il va de soi que nous allons retourner dans « notre » maison, retrouver « nos » boulots, cotiser pour « nos » retraites complémentaires, payer « nos » impôts, retrouver « notre » télé, reprendre des vacances comme monsieur tout le monde, 5 semaines par an, manger tous les soirs à 19h30 … « C’est bon !! Hein !! Vous en avez assez profité !! Soyez un peu sérieux il est temps de « réintégrer la vraie vie ! » » ! Ahhh ! Comme je l’affectionne cette expression !! A chaque fois qu’on me la balance dans la figure je me demande qui sont les génies qui sont parvenus à faire croire à la quasi-totalité de l’humanité que pour vivre il faut consommer et que pour consommer il faut travailler dur pour gagner l’argent nécessaire pour entretenir le système !! N’ayez craintes bonnes gens, nous avons toujours vécu dans la vraie vie. Ici ou ailleurs. Sauf que pour nous, la vraie vie possède une définition plus large que la votre.

 

De toute façon, faut-il parler de nos projets d’avenir s’ils risquent de sortir du cadre de « la vraie vie » au sens commun du terme ? Nous avons appris à nos dépens que non. Partir une fois était tolérable. On pouvait nous pardonner cette lubie soudaine. Partir une seconde fois ??? Beaucoup (mais, soyons francs, pas tous) ne semblent pas prêts à l’accepter. Les arguments sont variés. On joue sur notre fibre patriotique : « partir de la France quand tout va si mal !! Vous n’êtes pas de bons français !! ». On joue sur notre fibre familiale. Ce qui ressort malgré tout des commentaires des « antis » c’est qu’on va les déranger une seconde fois. Non pas tant qu’on leur manque dans leur quotidien au point que cela soit insupportable pour eux, mais bien qu’on rebouscule les pièces du puzzle. Ils avaient l’habitude de nous savoir à tel endroit, il va falloir qu’ils se réhabituent à nous imaginer ailleurs. Bande d’égoïstes que nous sommes !!

 

Et sinon, « c’est pas trop dur le retour ?!! » !

 

Les difficultés du retour

 

Alors, le retour c’est pas dur !! En tout cas pas pour nous ! Ou pas au sens où les sédentaires l’entendent. Comme je l’ai évoqué plus haut, nous retrouvons « notre » maison et « nos » boulots. Donc, pas de stress de ce point de vue.

 

A vrai dire, nous avons même été déconcertés par la facilité avec laquelle les habitudes du quotidien reprennent leurs droits. A la maison, le même lit, dans la même chambre. Allez ! Soyons fous ! On intervertit les places ! Youhou !! Au supermarché, c’est la même nourriture qu’avant qui atterrit dans le chariot. Etrange … Le mode pilotage automatique qui évite de réfléchir sur son quotidien se rebranche tout seul. Je le soupçonne de tenir l’humanité sous son joug et de l’empêcher de prendre de vraies initiatives hihi Même en voiture les habitudes reviennent sans difficulté. La preuve : je n’ai pas conduit pendant un an et pourtant je sais toujours très bien faire !!

 

Non, si le retour est difficile c’est avant tout parce qu’il n’a rien d’enthousiasmant. L’énergie collective française est absolument plombante avec cette manie de se plaindre de tout, tout le temps. Elle nous étouffe. Et puis, revenir en France, c’est se soumettre au poids de l’administration et organismes apparentés. Le Trésor Public ne nous a pas oubliés et exige de nous une coquette somme d’argent qui me laisse un temps penser qu’on a confondu notre déclaration avec celle de Carlos Ghosn. Il faudra élucider cela au plus vite avant d’être étranglés financièrement. Bienvenue en France, semble nous susurrer notre avis d’imposition ! Bien sûr, pour nous défendre, nous n’avons plus ni téléphone, ni internet … Il faudra attendre septembre ma bonne dame ! Tout le monde est en vacances, on risque pas de faire intervenir un technicien actuellement ! Bienvenue en France semble à son tour nous balancer dans la figure l’opératrice Orange ! Inutile de multiplier les exemples vous connaissez la France aussi bien que moi …

 

Nous voici donc en plein mois d’août entre deux mondes. Bizarrement, nous n’avons (encore) aucune nostalgie du voyage et pourtant une maigre envie de continuer à vivre dans ce pays qui finit par nous sortir par les yeux. Les journées s’étirent mollement, nous tournons en rond et perdons notre temps puisque chaque action entreprise se heurte au problème « c’est le mois d’août ». Vive la République !! Vive la France !!

 

En attendant, nous profitons des quelques plaisirs que la vie française nous offre : un bon verre de rosé de Bandol, un toast de tapenade, une douche chaude avec de l’eau en quantité suffisante, des serviettes de bain moelleuses, une vraie autoroute avec télépéage pour doubler tout le monde dans les files, une partie de tennis … Hummm …  Il reste quelques bonnes choses dans ce pays !!

 

 

Le retour avec plus de 3 mois de recul

 

 

La vie a repris son cours et le voyage paraît déjà si loin que nous pourrions presque douté l’avoir fait s’il ne restait pas des photos, un blog, des souvenirs ponctuels …

 

Nous sommes toujours entre deux mondes, mais de façon différente.

 

Le monde français, tout d’abord. Ne nous leurrons pas : vivre un voyage au long cours, même si c’est à la mode, même si « tout le monde » paraît en faire un, reste une expérience qui marginalise beaucoup. Si on ne fait pas l’effort au retour de raccrocher soi-même les wagons à la loco, cette dernière passe en nous ignorant superbement. Dis autrement pour renouer avec les français il faut leur parler de ce qui les intéressent et le voyage n’en fait généralement pas partie. On l’avait pressenti à notre retour, la suite n’a fait que le confirmer.

 

De toute façon le quotidien reprenant ses droits, le voyage s’estompe de lui-même de nos têtes. Charles a repris l’école. Il est passé de la moyenne section au CE1 et il doit faire des efforts pour s’adapter à ce rythme scolaire que nous n’avions pas suivi pendant un an. Il est désormais content d’être revenu et fier de parler de son voyage à l’école. Jérôme a retrouvé son entreprise et ses salariés sans enthousiasme. Tant qu’à moi, je suis de nouveau universitaire. Les étudiants aiment venir à mes cours mais je n’aime plus du tout enseigner. Chez les adultes prévaut un sentiment d’ennui profond. On s’ennuie dans nos boulots, on s’ennuie dans nos loisirs … Il nous manque le mouvement du voyage, ses imprévus, ses découvertes … Je ne supporte plus de faire et refaire des choses déjà faites 1000 fois, d’écouter des musiques déjà entendues depuis des années, les habitudes … pffff ….

 

Peut-être est-ce parce que nous sommes entre deux mondes ? Car oui, nous avons de nouveau un pied en Amérique du sud. En partant en juillet de la Colombie nous avions décidé de revenir y vivre bientôt, séduits par l’optimisme des colombiens et lassés du pessimisme des français. Ce sera chose faite prochainement puisque nous serons propriétaires d’une maison à Guatapé d’ici début décembre, de visas de résidents en janvier et d’une nouvelle vie loin de la France d’ici la fin de l’année scolaire. Il nous reste à solder ce que nous avons en France, vendre maison et entreprise, poser une disponibilité longue durée en ce qui me concerne et dire « hasta luego Francia ! » ! A nous une nouvelle aventure !