10 ans ailleurs : entre voyages et ancrages, quel bilan ?

Voyage / expatriation 

 

7 juillet 2015 : c’est le premier jour du reste de notre vie : nous quittons la France avec notre fils de 5 ans et demi pour parcourir en van l’Amérique du Sud pendant l’année qui s’ouvre devant nous. 

 

7 juillet 2025 : 10 ans se sont désormais écoulés loin de la France. Le petit bonhomme à qui l’on donnait la main pour traverser la rue fait maintenant une tête de plus que nous et prend désormais l’avion seul et sans accompagnement pour vivre ses aventures d’adolescent loin de ses parents.

 

 

 

Entre temps, ceux qui nous connaissent le savent: nous avons enchainé 13 mois de voyage en Amérique du Sud, un bref retour en France, une installation en Colombie, un autre voyage de 18 mois en Amérique du Nord et une installation au Maroc.

 

Ce blog, je l’avais inauguré pour rendre compte de notre première année de voyage. Et je suis rétrospectivement heureuse d’en avoir poursuivi l’écriture jusqu’à aujourd’hui. C’est un vrai luxe de pouvoir me remettre sous les yeux le déroulement de cette incroyable décennie. Parfois, je souhaiterais pouvoir en revivre chaque second bonne ou mauvaise, mais il ne reste que des photos et écrits pour ce faire…

 

Au terme de cette période bien remplie, j’avais envie de me retourner, non pas forcément pour mesurer l’ampleur du chemin parcouru, mais pour réfléchir sur le voyage au long cours et l’expatriation  (je continue à employer ce terme d’expatriation qui est partiellement correct et impropre pour décrire nos installations dans différents pays. Correct car littéralement, s’expatrier c’est quitter volontairement son pays.  Incorrect car  le terme « expatrié » fait souvent référence à ceux qui partent travailler à l’étranger pour le compte d’une entreprise ou d’une administration au sens large, avec un excellent salaire et de nombreux avantages. Je pourrais aussi dire « immigration » mais ça ne correspond pas non plus à notre cas). Peu importe. A l’heure où beaucoup cherchent à s’évader de la France pour quelques mois ou années, je me suis dit que notre retour d’expérience pouvait peut-être servir à d’autres. Alors ? Voyage et/ou installation à l’étranger ? Passer de l’un à l’autre est-il chose aisée ? Qu’avons-nous appris de ces deux expériences à titre personnel ou plus général ? 

 

Le voyage au long cours : vivre en mouvement

 

On pourrait penser que partir voyager au long cours et s’installer dans un pays étranger sont le résultat de démarches à peu près similaires, débouchant sur des expériences voisines. Néanmoins, avec le recul, je peux vous certifier que cela n’est que partiellement vrai. Ce sont deux initiatives indépendantes, même si l’une et l’autre peuvent être chronologiquement liées.

 

Vivre libre…

 

Nous avons eu la « chance » de pouvoir concrétiser deux « vrais » voyages au long cours en famille durant de cette décennie : quitter notre sédentarité pour parcourir deux continents, sans nous interrompre, sans faire autre chose.

 

 

Toujours dans nos vies 10 ans plus tard, après moults rebondissements et kilomètres

 

Au positif (car j’ai envie de commencer par cela), c’est une superbe expérience de liberté. Ceux qui l’ont partagée pourront le confirmer : voyager au long cours ce n’est pas juste partir en vacances longtemps : c’est sortir durablement du connu, être en mouvement dans un monde qui ne nous attend pas et se laisser transformer par ce que l’on traverse. C’est choisir, décider, faire ce que l’on veut, quand on le veut (ou presque). 

 

C’est un apprentissage à ciel ouvert du monde :

  • découvrir des paysages inconnus comme autant de joies simples (cf. toutes les photos de ce blog qui en parleront mieux que moi);
  • s’étonner de choses qui paraissent banales aux autochtones ;
  • rencontrer des personnes d’autres cultures et avoir la stupéfaction de constater que des gens qui ne t’ont jamais vu auparavant peuvent t’ouvrir leur maison, partager avec toi un repas ou un bout de chemin avec confiance et bon coeur. Et finalement te rendre compte que la planète Terre contient beaucoup plus de « buenas gentes » que de voyous.
  • se confronter à des alimentations différentes pour le meilleur comme pour le pire hihi (voir ici)…
  • apprendre la relativité de toute chose : ce qui semblait évident chez soi (les horaires, la politesse, la norme, la réussite) devient soudain juste une possibilité parmi d’autres. On prend conscience que le monde est plus vaste que nos repères et qu’il fonctionne sans nous.
  • redéfinir ce qu’on croit “savoir” sur un pays, sa culture, sa religion : le vécu tord souvent le cou aux préjugés et exige de suspendre ses jugements, élargissant considérablement l’esprit.

     

Quand tu découvres la gastronomie mexicaine à base d’insectes et que tu ne veux pas voir ça hihi

 

 

C’est aussi un apprentissage à ciel ouvert des relations humaines :

  • sympathiser avec des voyageurs de tous horizons qu’on n’aurait peut-être même pas considérés dans d’autres contextes et découvrir que des rencontres brèves peuvent être intenses et lumineuses et que la profondeur d’un lien ne dépend pas forcément de sa durée mais de la qualité de la présence ;
  • revoir les relations avec son conjoint et avec ses enfants (ce qui est souvent très difficile quand on n’a pas l’habitude de vivre avec eux 24/24H)…

 

Et c’est enfin un apprentissage à ciel ouvert de soi-même :

  • apprendre à être libre : tu n’as plus personne pour te dire quoi faire, où aller et à quelle heure (ça peut être déconcertant quand tu as vécu en France, pays du « prêt à penser » et de l’assistanat) ;
  • lâcher-prise: un voyage au long cours t’oblige à composer avec ce qui est : une panne, un accident, un problème météo, le covid, etc …Tu dois te réajuster en permanence, ne pas renoncer, accepter et aller de l’avant quoi qu’il en coûte. ; 
  • considérer l’impermanence des choses : tout change, tout le temps : les lieux, les visages, les trajets, les plans. Rien n’est fixe. Et on apprend à ne pas s’attacher trop vite, à dire au revoir souvent, ce qui est parfois très douloureux ; 
  • apprendre à être dégourdi et ne compter que sur soi-même ;  
  •  ne jamais pouvoir se reposer émotionnellement : vivre des émotions intenses, bonnes ou mauvaises, tout le temps ;
  • ne jamais pouvoir se reposer mentalement : le voyage au long cours étant une antithèse de la routine, on ne peut s’appuyer sur aucun automatisme pour apaiser sa charge mentale : il faut tout anticiper tout le temps, tout programmer pour les jours à venir, rester sur ses gardes, apprendre de chaque nouveau pays … 
  • comprendre que l’on est capable de vivre avec peu  : sans confort matériel, avec peu d’objets et se rendre compte qu’on a besoin de moins que ce qu’on croyait ;
  • changer de regard sur les petites choses : l’importance d’avoir de l’eau à son robinet de véhicule, la chance de pouvoir admirer un coucher de soleil, le délice d’un bon lit … Toutes ces choses banales dans nos quotidiens et qui reprennent une vraie importance … Finalement, le voyage rend précieux ce qui était transparent.

 

Bref, le voyage au long cours, c’est tout ça …!

 

…Mais à quel prix ?

 

En fait, voyager au long cours c’est être libre et vivre à 100 % car tout est exacerbé. Evidemment, cela comporte des contreparties moins positives. Je vous renvoie à mes rubriques « C’est quand le moteur s’arrête que l’aventure commence« , « On n’a pas fini de vous faire rire« , « Différences culturelles » et « Instruction en famille » si vous avez oublié nos nombreuses galères hihi.

 

Alors oui, pour synthétiser, voyager au long cours c’est aussi parfois ou souvent des problèmes que tu n’aurais jamais eus en restant chez toi !

 

Galères financières, tout d’abord : que tu sois parti pour un an, deux ans ou « à vie », cela impose de trouver un moyen de se financer et c’est sûrement le plus compliqué pour tous ceux qui ne sont ni rentiers ni retraités. Même avec un bon budget ou des rentrées d’argent régulières, voyager au long cours rend économe. Je trouve que cela redéfinit son propre rapport à l’argent car, comme on ne sait jamais ce qu’il arrivera demain, on ne peut pas se permettre de dépenser largement comme on le ferait lors de vacances programmées. Ce qui peut créer un stress et une certaine peur du lendemain. Et cette peur se prolonge dans une autre  consistant à se demander (pour ceux qui ont tout plaqué avant de partir) « et après ce voyage, je fais quoi ? ». On a croisé tellement de voyageurs dont la seconde moitié du périple a été gâchée par cette question que j’invite ceux qui souhaitent se lancer dans l’aventure à bien la considérer avant de s’en aller. Quant à ceux qui travaillent sur la route, c’est un peu pareil : ils ont la charge mentale de le faire en plus de voyager ….

 

Galères personnelles, ensuite : partir ainsi c’est se confronter à soi-même et voir ce qu’on a ou pas dans les tripes. Et parfois, le constat est moins lumineux que ce qu’on pensait quand on se retrouve face à ses peurs, face à ses limites ou à ses dépendances. Tu dois te débrouiller pour tout : tu es conducteur, mécano, instit, femme de ménage, guide touristique, médecin, cuisinier, traducteur, agent administratif, etc, etc …

 

Un classique du genre

 

 

Galères relationnelles, aussi :  si tu pars en famille  tu es confronté à des êtres que tu croyais bien connaître et qui, finalement, s’avèrent un peu différents pour le meilleur ou pour le pire. Ton gamin qui était un ange devient un tyran domestique et t’as envie de l’abandonner sur la route. Ou alors, c’est l’inverse qui se produit. Quand tu t’engueules avec ton conjoint, tu n’as même pas une porte à claquer … Pffff … C’est pas toujours simple et seule la souplesse d’esprit permet de passer certains caps.

Et puis, il y a les relations avec les autres. Ceux qui sont restés en France et qui te font parfois à moitié la gueule d’être parti qu’ils soient tristes, jaloux, horrifiés ou indifférents. Ce n’est pas facile à gérer cet éloignement. Avec le recul je sais que nos vrais amis Français sont ceux qui nous parlent et nous reçoivent encore. S’il y en a qui me lisent, je vous aime !!!

Et que dire des relations avec la famille ? Les parents qui t’ont laissé partir mais qui n’en dorment pas, les fêtes de famille auxquelles tu ne participes pas, les bons et moins bons moments non partagés… Encore une fois, merci à nos familles pour nous avoir laissés libres, je mesure aujourd’hui à quel point c’est difficile pour vous !

Et les relations avec ceux rencontrés sur la route : tu passes ton temps à te réjouir puis, très peu de temps après, au mieux (si ce sont d’autres voyageurs) à dire « au revoir on essaiera de se revoir », au pire « adieu à tout jamais » quand ce sont des autochtones et que tu sais que tu ne repasseras pas dans le pays plus tard. Ces montagnes russes émotionnelles sont absolument horribles. Je trouve que c’est le plus dur du voyage. Je me suis écorchée le coeur très souvent.

 

Et puis, il y a trois points dont on parle peu :

 

Les galères liées à l’usure de la route (voir ici) : chez nous ça s’est manifesté à 6 mois de voyage quand nous étions au Pérou, pour moi. Et pour Jérôme, lors du second voyage, vers la fin, quand nous traversions les mornes, plates et immenses Panhandles Plaines du Texas : le doute existentiel. Le truc qui te fait te demander « mais qu’est-ce que je fais là ??? ». Au bout d’un moment, tu n’as plus de routine, plus d’horaires, plus d’obligations, plus de calendrier. Tu ne sais plus quel jour tu es. Comme tu es libre de faire ce que tu souhaites, c’est parfois très difficile à gérer quand on n’a plus de repères fixes. A la longue, tu ne sais plus ce que tu fais là : des cascades tu en as vues tant et plus et elles se ressemblent toutes; les villages sont charmants mais c’est tous les mêmes à la fin ; les gens sont sympas mais … hypocrites; la bouffe locale te sort par le nez  … Je crois que tous les voyageurs connaissent ce moment où tu te dis que ce périple n’a plus aucun sens.

Et puis, il y a l’usure du quotidien :  la fatigue logistique : chercher où dormir, où remplir ton réservoir d’eau, gérer les pannes, les visas, les imprévus de chaque jour ; la fatigue de l’instabilité constante et de ne jamais pouvoir tisser des liens durables ; le manque de confort et, enfin, une certaine forme de solitude…

 

 

 

 

Les galères liées à l’éducation des enfants : on peut décider de ne pas « faire école » pendant le temps du voyage et, rétrospectivement, ça ne me paraît pas problématique car les enfants sont stimulés par d’autres aspects que le programme scolaire. Par contre, si on décide de s’y mettre … pffff … c’est vraiment difficile. D’être prof quand ce n’est pas son métier (je le suis et c’était dur quand même) ; d’enseigner quand on a envie de profiter du voyage ; d’avoir une régularité, de se supporter mutuellement avec les enfants … C’est tellement dure, en fait … Et je parle en connaissance de cause avec désormais 9 ans d’instruction en famille dans le dos !

Et puis, il y a aussi les galères liées aux ados. Partir avec des grands ou avec des petits qui ont grandi, c’est encore une autre problématique. Car un ado a besoin d’être seul, de s’indépendantiser, d’avoir son cercle d’amis, ses activités sportives, de faire ses propres expériences. Il devient un jeune adulte… Bravo à ceux qui poursuivent une vie nomade avec des ados car ça ne doit pas être facile tous les jours. D’ailleurs, c’est parce que Carlito était entré dans ces problématiques que nous avons décidé de nous re-sédentariser en août 2023 : nous ne pouvions pas le priver de vivre pleinement cette étape importante de sa vie en l’obligeant à être collés H24 à ses parents dans un van. C’est une chose de leur faire visiter le monde, mais une autre de permettre qu’ils puissent un jour s’y intégrer correctement. Et si le voyage leur ouvre l’esprit et leur donne un recul fou, ça ne sert pas à grand chose s’ils restent en marge de celui-ci, en tant que simples observateurs.

 

 

L’école en voyage, on en parle ?!

 

 

Enfin, les galères en lien avec le retour. Parce que partir voyager même au très long cours ça implique forcément de revenir un jour. Chez soi ou ailleurs, mais je ne crois guère à une vie d’errance sur un très long terme. Même chez ceux qui disent « être partis à vie » : il y a toujours un moment où tu t’arrêtes car le voyage non-stop ça use ou car tu es mûr pour t’installer dans un nouveau pays afin de passer de la superficialité à la découverte en profondeur.

Je dirai qu’en ce sens, le retour est sûrement la plus grosse claque du voyage au long cours. Tu reviens, tu as changé, mais autour de toi tout est comme avant ou presque. Tu retrouves un système, un cadre de travail, voire une société française qui te paraissent désormais totalement étriqués. Tu aimerais parler de ce que tu as vécu, mais tu comprends vite que les émotions sont intraduisibles et que seuls les voyageurs pourront te comprendre. Tu te sens isolé, inadapté, triste.

Tu souffres d’un vide post-voyage : on peut presque faire une analogie avec le fait de scroller sur un téléphone :  faire défiler des images sans fin te fait secréter de la dopamine. Quand tu arrêtes, tu t’ennuies. Le voyage c’est un peu pareil : tu as pris l’habitude de surstimuler ton cerveau d’images et d’émotions tout le temps, tu as fabriqué plus de dopamine que dans tout le reste de ta vie. Quand tu t’arrêtes, c’est un vide intersidéral, un effondrement de tes hormones du plaisir. Plus rien ne te nourrit, ne t’intéresse. Beaucoup, d’ailleurs, souffrent d’une dépression du retour. Et il faut du courage pour se relancer sur quelque chose de plus traditionnel et de moins stimulant, le plus souvent sans être aidé.

 

Et les choses ne sont pas vraiment différentes que tu reviennes chez toit en France ou que tu t’installes à l’étranger.

 

L’expatriation : l’ancrage du mouvement

 

Même si mon article est comme d’habitude beaucoup trop long (mais vous avez l’été pour le lire), je voudrais rebondir sur l’expatriation. Il n’existe pas nécessairement de lien entre partir au long cours et s’installer dans un pays étranger. Les deux démarches peuvent être totalement indépendantes. Il se trouve que dans notre vie, elles ont été imbriquées et que la seconde a été le prolongement logique du voyage. Mais chacun est différent.

 

D’ailleurs, quand j’observe autour de moi les profils des expatriés, je constate qu’il y a très peu d’anciens voyageurs au long cours ayant décidé de se fixer un jour dans un nouveau pays. Nous sommes une minorité par rapport au très grand nombre d’expats envoyés par leurs boîtes ou administrations, au grand nombre de retraités ou (au Maroc) de français d’origine marocaine revenant vivre au pays ou, plus généralement, de français ayant décidé de tenter leur chance à l’étranger sans passer par la case préalable du voyage. 

 

Pour nous, nous installer à l’étranger a été une évidence. On a tellement aimé découvrir autre chose que c’était un prolongement logique. D’ailleurs, c’est devenu si naturel que nous ne sommes toujours pas rentrés vivre en France !

 

Reste à savoir si voyager et s’installer c’est la même chose ? Est-ce qu’être voyageurs nous a facilité les choses ? Fait-on face aux même défis ? 

 

Pourquoi s’installer ailleurs ?

 

Je me garderai bien de vous détailler les raisons générales pour lesquelles les humains décident un jour de partir s’installer ailleurs. C’est une histoire vieille comme l’humanité et qui appelle autant de réponses que de cas particuliers.

 

Pour nous, le premier voyage avait été pensé comme une parenthèse dans notre vie française et non comme un départ en vue s’établir à l’étranger. C’est à la toute fin du voyage qu’un matin nous nous sommes demandés « mais pourquoi on rentre ? ». Cette interrogation/certitude vous l’avez tous eue aussi à chaque fin de vacances un peu sympas : pourquoi retourner bosser ?Pourquoi ne pas tout plaquer et tout recommencer ailleurs où l’herbe est tellement plus verte (en apparence au moins).

 

La seule différence avec vous, c’est que nous, nous nous sommes écoutés et avons déroulé l’expérience jusqu’à son terme. Je peux donc vous en rendre compte avec 8 ans de recul.

 

Notez bien que nous ne sommes pas partis car on ne voulait plus vivre en France (encore qu’à la réflexion, j’avais relevé en 2017 tout un tas de dysfonctionnements dans notre beau pays qui confortait notre choix de le quitter (ici)). Nous sommes partis car on avait envie d’essayer de construire une autre vie ailleurs et de découvrir un pays en profondeur.

 

Plus tard, notre ancrage colombien s’est révélé inapproprié pour deux d’entre nous. J’ai expliqué plein de fois pourquoi, je n’y reviendrai pas (voir ma rubrique Colombie). Alors nous sommes repartis en voyage. Et au bout de 18 mois, c’est celui-ci qui s’est révélé inadapté à qui nous étions désormais. Donc on a encore changé. Pour s’ancrer au Maroc. 

 

Colombia, mi amor

 

Ce que je veux dire par là, c’est qu’à partir du moment où tu quittes ta vie traditionnelle en France avec ses routines et contraintes, mais aussi ses rails rassurantes et ses possibilités de se projeter dans un futur raisonnablement prévisible (OK, même en France tout peut vriller du jour au lendemain, mais tu as quand même des garde-fous institutionnels à ta disposition)  il est difficile d’affirmer sans nuance « je vais m’installer à vie dans tel pays » ou « je vais voyager à vie » car il y a beaucoup de facteurs imprévisibles qui te feront un jour changer de direction. 

 

De ces expériences, il y a beaucoup de choses que nous avons apprises sur le tas. Rien de rédhibitoire sinon nous serions rentrés en France, mais quand même beaucoup de points  à considérer si on ne veut pas échouer.

 

La boîte à outils du voyageur

 

Ne nous leurrons pas : il y a des gens pour qui il est plus facile qu’à d’autres de s’installer à l’étranger. Je pense aux « vrais expats » envoyés par leur boîte dans un pays étranger, avec toutes les aides logistiques et financières dont ils disposent pour trouver un logement, faire leur déménagement, leurs papiers administratifs, trouver des bonnes écoles à leurs gamins…

 

Mais beaucoup n’ont pas cette chance. Par contre, avoir été voyageur avant de s’installer n’est pas neutre car on a d’ores et déjà acquis un certain nombre de compétences utiles :

  • une connaissance du pays dans lequel on s’installe : en général, on a déjà bien visité celui de notre choix et on en possède une vue d’ensemble. Je ne dis pas que c’est 100 % le cas de tous les voyageurs, ni qu’on a une connaissance fine de ce pays, mais ça aide déjà bien quand on sait pourquoi on va s’y installer et où on met les pieds. Ce serait d’ailleurs mon conseil à ceux qui visent une expat : allez vivre quelques mois dans l’endroit convoité avant de vous décider. Pas en tant que vacanciers car vous verrez des choses que des gens de passage ne perçoivent pas, mais vraiment en tant que futur « autochtone » : ça permet de se décider sur la base d’une expérience vécue et non idéalisée ;
  • une compétence interculturelle : on a déjà pris du recul sur les cultures des autres et notre capacité à endosser un choc des confrontations ;
  • une capacité d’adaptation : si tu as survécu à un voyage au long cours, tu es capable de t’adapter partout !
  • une vraie débrouillardise : tu as déjà su faire face à tellement de problèmes de tous ordres que tu sais que tu seras en capacité de faire face à ceux découlant d’une expatriation  (ça nous joue d’ailleurs des tours : on a tellement perdu l’habitude d’être assurés qu’on ne pense pas forcément à faire fonctionner nos assurances quand on en a hihi)…

 

Il n’en reste pas moins que ce sont deux démarches différentes et que la réussite de son voyage au long cours ne garantit en rien celle de son installation à l’étranger (et réciproquement d’ailleurs).

 

L’expatriation, c’est pas le voyage : quels sont ses défis propres ?

 

Parmi les défis qu’on doit relever quand on s’installe, certains sont communs à tous et d’autres spécifiques aux voyageurs.

 

 

Rabat

 

 

Parlons tout d’abord du problème de passer du flux à l’ancrage : c’est la grosse difficulté des voyageurs qu’ils rentrent chez eux à la fin du périple ou s’installent à l’étranger. Alors que le voyage rime avec liberté, impermanence et mouvement, l’expatriation oblige à s’installer et à accepter une certaine fixité. C’est un tournant pas toujours évident à négocier.

Il y a d’ailleurs un problème de rapport au temps : on n’est plus de passage, on est là pour s’inscrire dans une certaine durée. Ce qui implique des actions et des comportements différents.

 

Parlons ensuite du problème financier. Quand on part en voyage (sauf les nomades qui travaillent en même temps), on a prévu un budget : on a économisé, vendu, réorganisé … Bref, on a fait en sorte d’avoir suffisamment d’argent de côté pour mener à bien son projet. Or, quand on s’expatrie, on a peut-être moins tendance à être prudent de ce point de vue là. On pense qu’on retrouvera du travail sur place ou que la vie sera moins chère qu’en France et qu’on s’en sortira avec ce que l’on a : ça  peut être le cas, mais pas forcément. Si j’avais un conseil à donner, c’est de raisonner avec clairvoyance et de poser les bonnes questions avant de partir :

  • est-ce que j’ai le droit de travailler dans le pays qui m’accueille et à quelles conditions (visas) ?
  • combien coûte un visa de résident (pas les frais administratifs, mais certains pays exigent que tu investisses que ce soit 10 000 euros ou 200 000…) ?
  • combien vais-je gagner si je suis salarié local ? Parfois le salaire peut paraître énorme par rapport à ceux de la France, mais vu le coût de la vie c’est insuffisant pour vivre mieux que dans son propre pays (cf. US ou Canada).
  • combien coûte la vie sur place ? On s’imagine souvent que dans les pays du Sud la bouffe n’est pas chère. Ce qui n’est pas forcément vrai. Au Maroc ou en Colombie la nourriture locale est bon marché. Mais celle qui est importée est plus chère qu’en France.
  • Quels sont les frais partiellement pris en charge par la collectivité française et que je devrais débourser de ma poche et sans aucune aide à l’étranger : scolarité, activités extra-scolaires,   santé,  logement,  comptable (car tu as souvent besoin de quelqu’un pour faire ta déclaration personnelle d’impôt dans ton nouveau pays), etc …
  • Quels sont les prix des loyers si je ne veux pas vivre dans un gourbi ?
  • Quel est le régime fiscal qui s’applique à moi ? En France ? Dans mon nouveau pays ?
  • etc ….

 

C’est la même chose d’un point de vue administratif : quand on s’expatrie les démarches administratives sont très complexes, ne serait-ce que pour faire établir sa résidence … C’est un problème qu’on n’a pas en voyage.

 

Abordons à présent le problème de l’adaptation et de l’intégration.

  • Quand on voyage on rencontre superficiellement les autochtones et on les trouve généralement sympas, ouverts, empathiques (qui n’a pas entendu 1000 fois cette remarque un peu con con : « ils n’ont rien mais ils donnent tout »). Ce que la plupart sont généralement. Mais peut-être se comportent-ils ainsi car tu es voyageur, que tu es de passage et qu’ils t’accueillent en tant que tel ? Est-ce qu’ils agiraient toujours ainsi si tu devenais leur voisin ? Si tu perdais ton côté exotique pour faire parti des meubles ? Si tu leur prenais leur travail ou faisais augmenter les loyers de leur quartier par ton simple pouvoir d’achat supérieur ? Je ne suis pas sûre … En Colombie certains de mes voisins me détestaient (ceux chez qui j’envoyais régulièrement les flics car ils organisaient de phénoménales orgies bruyantes pendant des jours entiers …)… 
  • ce qui me conduit à aborder un point capital : quand tu t’expatries le regard des locaux sur toi change, tout comme le tien sur eux : tu deviens un immigré. Et vous savez comme moi que ce terme n’est pas toujours très positif. Désormais l’image qu’on te renvoie ce sera celle-là et tu seras éternellement « le Français », avec ce que ça comporte de bon et de moins bon (tu perds un peu ton individualité au regard des autochtones qui te jugent par rapport à ce qu’ils croient savoir des Français : s’ils pensent que ces derniers sont tous romantiques ou tous des racailles, ça va peser dans leur regard sur toi, d’une façon ou d’une autre). Plus largement, d’autres attentes sérieuses pèsent désormais sur tes épaules de nouvel arrivant:  t’intégrer un minimum,  ne pas faire de vagues,  respecter la culture où tu t’insères … 
  • ce qui pose évidemment le problème de la langue. D’expérience, je vous affirme qu’on peut s’établir à l’étranger sans parler la langue attendue. Par contre, tu demeures toujours un peu en marge tant que tu ne sais pas plaisanter dans celle-ci. Ce n’était pas facile avec l’espagnol, mais avec l’arabe, c’est quasi impossible. Or, contrairement au voyage, tu as vraiment besoin de comprendre et de te faire comprendre pour vivre correctement quand tu t’expatries.

 

Enfin, le dernier point que je souhaite aborder et qui peut déconcerter c’est tout ce qu’on perd en s’installant à l’étranger :

  • spécifiquement pour les voyageurs, l’expatriation ne permet plus cette légèreté du voyage : adieu l’émerveillement quotidien devant un paysage tous les jours nouveau ; adieu ces rencontres éphémères si fortes (tu dois te reconstituer un réseau et c’est très difficile car d’un côté les autochtones ne t’ouvrent plus si facilement leurs portes pour tisser de vraies et profondes amitiés et, d’un autre, les français présents sont souvent trop occupés pour avoir du temps à te consacrer. Sans parler des escrocs de toutes nationalités, dont la nôtre, qui sympathiseront avec toi pour mieux te rouler dans la farine selon un vieux principe bien établi « t’es blanc, t’es riche, tu payes »); adieu ce statut un peu privilégié d’observateur du monde ; adieu les possibilités de t’enfuir si ça ne te convient pas (je pense au bruit : il est exotique et marrant quand tu visites la Colombie et insupportable quand tu y vis); adieu la vie minimaliste (car dans un quotidien sédentaire il te faut quand même un minimum d’affaires pour vivre) … Tu dois faire un petit deuil de tout cela.
  • un point en particulier me paraît important, c’est la disparition de l’effet « whaouh ! » : au bout de quelques mois d’installation ou années, la magie du pays découvert en voyage peut laisser place à une réalité plus banale, voire décevante. Il y en a qui disent qu’une expatriation suit une courbe : au début tu surfes sur une crête de bonheur, puis tu plonges dans une phase dépressive où ton nouveau pays te sort par les narines et, enfin, si tu n’en es pas parti, alors tu te stabilises émotionnellement à son égard et adopte un regard objectif sur lui. Et c’est vrai. On l’a expérimenté.
  • enfin, ce que l’on perd, c’est tout ce qu’on a laissé en France :  sa famille, ses amis, son salaire, sa maison, ses trimestres de retraite, son ancienne vie et ses habitudes qu’on aimait bien. La prise de conscience peut être violente quand on est dans la phase dépressive. 

 

Echouer ou réussir ?

 

Je crois qu’il n’existe aucune jauge sérieuse en la matière pour dire si quelqu’un a réussi ou pas son expatriation : seuls ceux qui le vivent peuvent savoir au fond d’eux s’ils ont transformé l’essai ou pas et ce, quelle que soit la durée du séjour dans le pays d’accueil. Rien n’est facile et ceux qui jugent sont ceux qui n’ont jamais quitté la France. De toute façon, on n’est pas forcément fait pour vivre toute sa vie dans un pays qui n’est pas le sien : on reste français qu’on le veuille ou non…

 

Par contre, il y a des facteurs propices à l’échec :

  • l’idéalisation du pays choisi (dans tous les cas, on finit toujours par passer par une phase où on ne peut plus blairer son pays d’installation : tout ce qui en faisait sa saveur et son originalité, tout ce qui t’avait initialement plu, tout ce que tu n’avais pas voulu voir … Bref, tout devient un repoussoir : « leur bouffe répétitive », « leurs coutumes et/ou religion », « le folklore local », « le non respect de l’environnement », « les galères administratives ou bancaires », etc… Heureusement, ça passe avec le temps (ou alors tu t’es barré). C’est un peu comme dans un couple, « l’amour rend aveugle mais le mariage rend la vue » hihi : tes étoiles dans les yeux font place à plus de lucidité : si tu passes le cap c’est tout bon !!!);
  • l’intégration sociale impossible et la solitude (je l’ai déjà écrit, mais se faire de vraies relations amicales avec les autochtones prend du temps, beaucoup de temps…) ;
  • la pression financière non anticipée ;
  • la divergence dans les couples : on peut être sur la même longueur d’ondes pour s’installer dans un pays et évoluer différemment au point que l’un des conjoints souhaite s’en aller quand l’autre veuille rester (attention aux divorces)
  • le mal être des enfants 
  • l’insécurité dans le nouveau pays
  • l’incapacité à lâcher prise sur son pays de naissance et le fait de tout comparer péjorativement à lui
  • l’incapacité à se passer de la nourriture française (!)
  • etc …

 

Et finalement, est-ce si grave ? Chaque expérience apprend et c’est l’essentiel.

 

Alors quelle conclusion à tout cela ?

 

Pour nous elle est simple : rien n’est facile, mais on adore voyager et  vivre à l’étranger ! Alternativement. 

 

Et si je devais résumer en un mot pourquoi, c’est avant tout pour une forme de liberté qu’on a encore ailleurs et qui n’existe plus en France. Ce n’est pas parce que les autres pays sont moins chers, plus beaux, plus attrayants, les gens plus sympas. C’est pas non plus parce que c’est plus sécurisé (quand tu as vécu en Amérique latine, tu sais que l’insécurité peut être à des niveaux bien plus élevés qu’en France) ou parce qu’on y gagne mieux notre vie … Non … C’est parce qu’on se sent plus libres ailleurs qu’en France (même si c’est paradoxal de dire cela à propos du Maroc – quand ce ne sera plus le cas, on en repartira).

 

Par ailleurs, pour nous le nomadisme à long terme c’est non. On aime partir voyager et ne faire que ça, puis revenir et se consacrer à des projets professionnels, sportifs, associatifs ou autres de « sédentaires » et ne faire que ça, puis repartir, etc … On a trouvé un équilibre comme ça. Pour notre ado fils unique, c’est essentiel de pouvoir se constituer un réseau de copains autres que virtuels, d’avoir un chez soi fixe, de pouvoir se consacrer librement et aussi souvent qu’il le souhaite à ses activités sportives, de pouvoir grandir sans avoir ses parents sur le dos H24  et de pouvoir  « faire l’école à la maison » régulièrement sans être dérangé par d’autres distractions. Ce qui ne l’empêche pas de repartir voyager avec plaisir quand l’occasion se présente (environ 3/ 4 mois par an quand même dans chacune de nos périodes sédentaires). Pour nous aussi, se refaire un réseau amical stable était important (avoir le temps de rencontrer vraiment les autochtones et de tisser des liens avec eux – j’ai conservé toutes mes amies colombiennes, par exemple), tout comme de pouvoir concrétiser des projets professionnels de « sédentaires ». Et d’avoir de nouveau un endroit à nous où laisser nos affaires, sans les transporter sans cesse d’un endroit à un autre …

 

Vivre à l’étranger nous a permis de prendre du recul sur le monde et de mieux comprendre son fonctionnement, d’avoir moins peur de tout, de relativiser les infos, de comprendre les défis auxquels s’affrontent tous les immigrés du monde quand ils s’installent dans un nouveau pays, de vivre les problèmes liés à la double culture… Bref, ça nous a changé.

 

Un retour dans notre pays d’origine est-il un jour possible ? La réponse est clairement affirmative car on ne souhaite se fermer aucune porte par principe. Par contre, elle ne se ferait pas sans difficultés, c’est sûr. Le changement sociétal en 10 ans a été tel que je ne reconnais presque plus mon pays quand j’y retourne. Je frissonne quand je vois cet implacable principe de précaution qui supplante désormais la liberté et répand la peur du lendemain partout ; je pleure sur l’inversion des valeurs qui est imposée aux habitants (si vous ne voyez pas ce phénomène, il est temps de sortir du pays et de prendre un peu de recul) ;  et je me demande au final si je pourrais m’accommoder à cela … Mais cela est un autre débat ! Pour le reste, la France demeure un très beau pays où on mange superbement bien hihi

 

En espérant que cet article vous ait intéressé !

 

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