Ifrane, Azrou, Midelt, Aït Aloui, Monastère Notre Dame de l’Atlas
Pendant que tout le monde rêve de chaleur, de plage et de beau temps hivernal, nous préférons faire le contraire des autres et filer en montagne !
Je voulais vous partager cette expérience car chaque fois que nous mettons un pied dans l’Atlas, la magie opère … Cette année, nous avons été particulièrement gâtés avec des paysages enneigées d’une beauté à couper le souffle, mais pas que …
Je reprends donc le fil de nos pérégrinations là où je les avais laissées quelques mois auparavant !
En route pour Ifrane !
Nous sommes à Fès, ville dont la renommée de la médina moyenâgeuse n’est plus à faire (je ferai un article un de ces jours), et prenons le chemin de la montagne . Je devrais dire la belle et neuve route nationale qui part de l’agglomération bruyante et monte directement à Ifrane.
Alors qu’en plaine les conditions météos sont froides mais sèches, d’abondantes chutes de neige sont annoncées sur les sommets. Nous flippons un peu de nous mettre dans des conditions peu recommandables, mais il semblerait que les routes soient quand même accessibles.
Quand nous parvenons à Ifrane, une chose est certaine : on ne sera pas bloqué ici car il n’y a pas neigé, malgré les 1650 mètres d’altitude. Carlito est gravement déçu. On en profite pour faire un tour dans cette petite ville dont l’architecture contraste totalement avec ce que l’on peut trouver dans le reste du Maroc. Probablement en raison des conditions climatiques hivernales, les toits ne sont pas plats, mais très inclinés, donnant au lieu de faux airs de petite Suisse.
C’est pas mal … mais à ce moment de l’année, c’est vraiment mort … Le seul un gars (ou presque) que nous croisons arrive quand même à nous refourguer un kilo de miel de montagne. Bon, on ne mourra pas de faim.
Devant la folle ambiance du lieu, nous ne nous attardons pas et continuons notre route en direction d’Azrou. C’est moins le village qui nous intéresse, que sa forêt des cèdres. Nous passons tout d’abord la nuit dans un camping à proximité d’Aourir, constatant une nouvelle fois que le confort n’est pas arrivé jusqu’à une grande partie de la population marocaine. Les sanitaires sont très vétustes et l’eau des douches (en courants d’air) est chauffée par un chauffe-eau à bois. Quand il s’éteint, il n’y en a plus. La température extérieure avoisinant les zéros degrés en ce début de soirée, nous renonçons à utiliser ces commodités un peu trop rustiques à notre goût (un peu embourgeoisé, je vous l’accorde, mais se doucher à l’eau froide quand il gèle dehors, ça te rend copain avec ta propre crasse).

Je n’invente rien …
Les seules qui n’ont pas l’air d’avoir froid, ce sont les cigognes qui bouchent toutes les cheminées du coin !
Des singes dans la neige
Le lendemain nous arrivons dans la forêt des cèdres. C’est une forêt d’arbres endémiques qui contient non seulement de très beaux arbres mais abrite surtout des singes magots de l’Atlas. A cette altitude, il y a bel et bien un peu de neige ! Hourra ! Nous garons le véhicule sur la parking de la maison de la forêt (fermée en cette saison) et manquons de nous casser la figure sur le sol verglacé. La promenade va être de courte durée !
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Tristement, il y a beaucoup de vendeurs de cacahuètes et les singes, attirés par cette nourriture facile, sont tous en lisière de forêt. C’est sûr qu’il est sympa de pouvoir les observer aussi facilement, mais c’est déprimant de constater qu’en 2025 les touristes ne peuvent pas s’empêcher d’interagir aussi stupidement avec les animaux. Nous nous enfonçons donc un peu dans la forêt, glissant à chaque pas, et tombons sur plusieurs bandes de singes avec leurs petits faisant mille acrobaties dans les branches. C’est un très chouette moment !
Nous poursuivons notre route. Les hauts plateaux sont enneigés, tandis que les sommets avoisinant scintillent majestueusement au soleil.
De façon impromptue, nous croisons un lion de l’Atlas .

Même les lions étaient congelés en montagne !
ici, les conditions de vie des autochtones sont particulièrement précaires et contrastent avec le luxe et la richesse qu’on peut trouver à Marrakech ou à Rabat. C’est le Maroc à deux vitesses dans ce qu’il a de plus triste.
Nous arrivons enfin à Midelt. Nous dormons au Ksar Timnay un hôtel qui fait camping. C’est un excellent choix car on y dine très bien. A quelques centaines de mètres de celui-ci se trouve un petit lac. Malgré le vent cinglant, nous en faisons le tour à pied. En cette fin d’après-midi, le paysage est fantastique : on se croirait au nord du Colorado !

Une « mesa »
Quand on découvre que les USA n’ont pas l’apanage des ghost towns !
Au départ de Midelt il est possible de faire une excursion en direction des mines de plomb abandonnées. Quand nous nous inscrivons, nous ne savons pas trop à quoi nous attendre …
Au petit matin, nous montons dans un mini bus d’un autre temps et nous laissons guider en direction d’Aït Aouli (à environ 25 kilomètres de Midelt). Nous ignorions jusqu’alors qu’en 1907 des gisements de plomb avaient été découverts dans la région avant que les Français ne viennent les exploiter à partir de 1926.
Nous nous enfonçons progressivement dans un paysage ultra minéral, bordé au loin par de superbes montagnes enneigées qui offrent un contraste saisissant avec l’ocre des terres. Le Mont Ayachi qui culmine à 3757 mètres nous observe.
Nous faisons une première halte dans une mine abandonnée par la société exploitante, mais qui fait encore l’affaire de quelques glaneurs. Il y a des risques non négligeables d’effondrement, aussi ne nous nous attardons-nous pas à l’intérieur.
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Nous poursuivons dans un paysage de gorges absolument superbe.
Nous arrivons enfin à la petite ville minière d’Aouli. Elle se confond avec la roche de la montagne !
Construite par les Français pour loger leurs travailleurs, elle est aujourd’hui presque déserte. En effet, depuis la fermeture officielle du site dans les années 1975, il ne reste plus grand monde dans les parages. Pourtant, on constate que les infrastructures y étaient particulièrement développées : bien sûr un chemin de fer pour acheminer le minerai, mais aussi, plus curieux, une des premières centrales électriques construite dans le pays.
Ces friches industrielles sont incroyables et finalement très esthétiques dans la lumière hivernale matinale.
Nous nous y promenons longuement.
Que reste-t-il de la vie dans ces montagnes ? Pénible pour la plupart, sûrement. Mais agréable pour d’autres, quand on croise ce qu’il reste de la piscine qui existait dans le quartier des « patrons ».
- Le quartier riche
- et sa piscine
Le cinéma, en ruines lui aussi, respire la nostalgie …
Nous trouvons cette excursion totalement insolite ! Ce n’est vraiment pas ce que l’on s’attend à voir quand on visite le Maroc et nous sommes ravis.
Nous poursuivons la piste vers un village encore plus éloigné qui, lui, est habité.
Il y a bien une mosquée et une école, mais les conditions de vie y sont de toute évidence assez précaires.
Nous reprenons la route vers Midelt, pour une autre découverte très intéressante.
Le Monastère de Notre Dame de l’Atlas
Retour à Midelt. Vous n’avez surement jamais entendu parler du Monastère de Notre Dame de l’Atlas, mais dans quelques phrases vous vous direz « ah mais oui …! ». Parce que dans le fond tout le monde ou presque connait l’histoire de certains de ses moines.
A bien y regarder l’endroit mérite déjà le détour car trouver une communauté chrétienne cistercienne en Afrique et, plus encore, dans un pays musulman, n’est pas chose courante. C’est tout simplement la seule du Maghreb.
Quand nous arrivons devant le monastère, une chose nous étonne : il y a une voiture de police qui garde l’entrée. Nous frappons au portillon de l’enceinte et pénétrons dans la cour. A notre gauche, une belle église en pisé.
La communauté est minuscule puisque seulement 5 moines de nationalités différentes y vivent et accueillent du public à la belle saison. Nous sommes chaleureusement reçus dans l’église par le Prieur Jean-Pierre qui est le seul à parler français.
Très sympathique, il nous raconte l’histoire de cet endroit qui connut un tournant décisif au début des années 2000 suite à l’assassinat des 7 moines de Tibhirine en Algérie en 1996.
L’histoire est tristement célèbre : dans la nuit du au , un groupe d’une vingtaine d’individus se présente aux portes du monastère. Ils pénètrent de force à l’intérieur et vont vers le cloître où ils enlèvent sept moines. Deux membres de la communauté, frère Jean-Pierre et frère Amédée, qui dormaient dans une autre partie du monastère, échappent quant à eux miraculeusement aux ravisseurs. Quelques semaines plus tard leur assassinat est annoncé par un communiqué attribué au GIA, tandis que leurs têtes sont retrouvées un peu plus tard.
Après cette histoire épouvantable, certains moines ont voulu continuer à faire vivre la communauté de Tibhirine en Algérie, dont le Prieur actuel du monastère de ND de l’Atlas (qui est donc arrivé postérieurement à ces évènements), mais pour des raisons de sécurité et des raisons politiques, cette initiative n’a pas pu prospérer.
Les deux moines survivants, Jean-Pierre et Amédée, se sont quant à eux rendus au monastère de Fès au Maroc pour y continuer leur vie monastique. Le prieuré de Notre Dame de l’Atlas y a ensuite été transféré, avant que les moines ne partent ensuite à Midelt.
Le monastère que nous visitons en ce jour est donc chargé d’histoire. Le Prieur Jean-Pierre, qui n’est qu’un témoin chronologiquement secondaire, nous livre néanmoins un témoignage bouleversant puisqu’il a vécu lui-même à Tibhrine dans les années succédant l’assassinat collectif. Puis, à Midelt, où il a partagé le quotidien des deux survivants : Amédée décédé en 2008 et Jean-Pierre décédé en 2022. Il nous apprend que ce dernier n’aura eu de cesse de témoigner de son histoire mais aussi de prôner le dialogue inter-religion.
Un petit mémorial très intéressant a été érigé hors de l’Eglise, rassemblant des écrits et des objets ayant appartenu aux moines. Une salle reconstitue en particulier une photo des moines prises de leur vivant :
Mais les chaises sont vides …
Après deux petites heures de visite et d’explications, nous ressortons bouleversés. Une question demeure : pourquoi cette voiture de police devant l’entrée ? Il n’existe pas de réponse officielle : peut-être s’agit-il d’observer les faits et gestes des moines et d’en rendre compte à qui de droit, peut-être est-ce seulement pour leur sécurité … Le Prieur, bien qu’il soit persuadé que sa communauté ne risque absolument rien au Maroc, penche pour cette dernière hypothèse. Pour conclure, il nous raconte en souriant que pendant le covid les autorités mourraient de peur qu’un des moines du monastère et, a fortiori, le survivant du massacre, ne décède du virus. Ils avaient donc été particulièrement « chouchoutés » pour éviter qu’une mort suspecte ne soit mise sur le dos du Maroc, engendrant une crise politico-religieuse. Si le Prieur n’est aujourd’hui plus de ce monde, c’est qu’il s’est éteint en paix …
Voilà ! Vous savez tout !
Quant à nous, nous avons réellement apprécié notre séjour dans cette partie du Maroc, loin, très loin des sentiers battus.
Nous l’avons d’autant plus aimé qu’à deux heures de route vers l’est, nous sommes passés sans transition des montagnes enneigés aux splendides gorges du Ziz et à leurs palmeraies incroyables. Mais ce sera l’objet d’un prochain article !

Deux heures de route sépare la neige des palmeraies …